La réforme des régimes de retraite est un sujet tellement sensible et complexe que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution ont préféré le remettre à plus tard malgré le déficit des caisses sociales qui se creusait d'une année à l'autre. Dans son programme présenté récemment aux partis politiques lors des consultations qu'il a mené en vue de former son gouvernement, le Premier ministre désigné Habib Essid a placé cette réforme parmi les priorités de son cabinet. Dans ce cadre, des sources bien informées au sein du ministère des Affaires sociales révèlent qu'une nouvelle approche vient d'être retenue. Outre l'augmentation de l'âge du départ à la retraite à 62 ans et à 65 ans dans une étape ultérieure, le ministère prévoit d'actionner le levier moins voyant qu'une augmentation des cotisations de l'unification du mode de calcul du salaire de référence, du taux de la pension et du rendement des années de cotisation au niveau des deux principales caisses de sécurité sociale: la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) qui couvre les fonctionnaires et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), dédiée aux salariés du secteur privé. Cet axe important du projet de réforme élaboré par le ministère de tutelle vise, selon les mêmes sources, à mettre fin à la «générosité» des régimes de retraite dont le cadre légal date des années 60, une époque durant laquelle le nombre d'actifs était largement supérieur à celui des retraités. Le salaire de référence est actuellement défini comme étant la moyenne des salaires des dix dernières années de travail, avec un plafond équivalent à six foix le SMIG pour les affiliés à la CNSS. Au niveau de la CNRPS, le salaire de référence est aujourd'hui calculé sur la base de la dernière rémunération objet de retenues avant le départ à la retraite. Sur ce point, l'intérêt se porte sur l'adoption par les deux caisses adopteraient la moyenne des salaires de dix dernières années de travail. D'autre part, le taux de la pension de retraite qui diffère en fonction du nombre des années de cotisation peut actuellement atteindre 90% pour les salariés du secteur public dans le cas de 40 ans de cotisation et 80% pour les travailleurs du secteur privé (régime des salariés non agricoles ayant 35 ans de cotisation). Le taux de la pension au niveau des deux caisses pourrait être abaissé à seuil maximal 75% dans les deux secteurs. Retraite complémentaire Pour compenser la baisse des revenus des futurs retraités pouvant découler de cette révision du mode de calcul du salaire et du taux de la pension, l'intérêt se porte sur l'encouragement du recours aux régimes de retraite complémentaires. Ainsi, les salariés souhaitant augmenter leurs pensions de retraite pourraient souscrire à des régimes de retraite complémentaire qui seraient gérés par des compagnies d'assurances. Il est à rappeler que le déficit cumulé des trois caisses sociales (CNSS, CNRPS, CNAM) a atteint un montant record de 281,6 millions de dinars en 2013. Selon les prévisions du ministère des Affaires sociales, il devrait culminer à 400 millions de dinars en 2014, à 700 millions de dinars en 2015 et à 1000 millions de dinars en 2016, si aucune réforme ne sera mise en œuvre rapidement. En 2013, le déficit de la CNRPS a atteint un niveau record de -212,8 millions de dinars, contre -124,9 millions de dinars en 2012 et -20,2 millions de dinars en 2009. De son côté, la CNSS a enregistré un déficit de -85,8 millions de dinars en 2013, contre -81,8 millions de dinars en 2012 et un excédent de 5,9 millions de dinars en 2009. La principale raison de ce trou de plus en plus béant de la «sécu» réside dans les mutations démographiques qu'a connues la Tunisie au cours des dernières décennies, dont notamment le vieillissement de la population, la hausse de l'espérance de vie et la baisse de la fécondité. Le résultat de ces mutations démographiques est la baisse du ratio actifs/retraités (nombre de salariés en exercice qui paient grâce à leurs cotisations les pensions de salariés partis à la retraite, NDLR). Au niveau de la CNRPS, le ratio actifs/retraités a atteint 2,87 actifs pour un seul retraité en 2012, contre 3,11 en 2008 et 5,3 en 1990. Au niveau de la Caisse CNSS, la situation est légèrement meilleure, avec un ratio actifs/retraités qui s'est établi à 4,29 en 2012, contre 4,47 en 2008 et 5,65 en 1995. Le vieillissement de la population est appelé à s'accélérer davantage durant les prochaines décennies. D'après les projections de l'Institut National de la Statistique (INS), les taux personnes âgées de plus de 60 ans passera d'environ 10 % de la population actuellement à 15,2% en 2024 et 17,7% en 2029.