Sous l'égide du ministère de la Culture et en collaboration avec la délégation régionale de la culture de Sousse, la Fédération Tunisienne des Artistes Plasticiens, l'Union des Artistes Plasticiens Tunisiens et le Syndicat des Métiers des Arts Plastiques ont organisé les 14 et 15 février à Sousse un colloque intitulé « Pour un musée de l'art moderne et contemporain en Tunisie » auquel assistaient des artistes peintres, des docteurs d'arts plastiques, des critiques d'arts ainsi que des journalistes. L'ordre du jour de ce colloque était un peu trop chargé et comportait plusieurs communications suivies de débats. La première journée, samedi 14, qui s'est déroulée à la salle de conférences de la bibliothèque de Sousse, a été consacrée à deux séances scientifiques dont le programme comprenait les interventions suivantes : la première séance a été intitulée « Quel rôle pour l'institution muséale dans l'histoire de l'art et quel est le rôle de l'art dans la promotion des musées de l'art ? La séance fut présidée par l'artiste et le député de l'Assemblée des représentants du peuple Ali Bennour. Fateh Ben Amer prit le premier la parole pour présenter sa communication intitulée « le musée entre la marginalisation du ministère de la culture et les nécessités conjoncturelles » dans laquelle il a souligné que les autorités sont en train de mettre la culture en marge, notamment l'art plastique, sachant que le budget alloué au ministère de la culture est très insuffisant, aussi faut-il actualiser la loi de 1% prélevé du capital des institutions publiques pour promouvoir la création plastique et, partant, créer un musée national qui sera à même non seulement de conserver les grandes œuvres mais aussi de former des spécialistes et des experts en matière de l'art. La deuxième communication fut celle de Amine Ghariani qui montra l'apport de l'art biologique à l'art plastique, partant de sa propre expérience qu'il a effectuée sur les oliviers, en soulignant que le recours à cet art paru au début du 20è siècle est très courant dans les différents musées d'art en Europe et qu'il faut encourager chez nous. Ces deux communications furent suivies d'un débat houleux où ont pris la parole, successivement, les artistes-peintres Ali Zénaïdi et Abdelmagid El Bekri qui attestèrent que l'idée de créer un musée de l'art en Tunisie était très ancienne, mais le projet a toujours été étouffé ou simplement écarté par une minorité de peintres pour des raisons financières ou encore par l'absence de la volonté politique de la part des ministères de tutelle qui se sont succédé depuis des décennies. L'après-midi, place à la deuxième séance scientifique qui portait comme titre : « Comment évaluer le capital de l'art plastique en Tunisie et comment contrôler les pistes de l'offre de la distribution et de la documentation ? Cette séance a été présidée par Khélil Gouiâ. D'abord, c'est Habib Bida qui intervint le premier pour parler du projet mort-né de la Cité de la culture dont la construction traine depuis plusieurs années, ayant démarré en 2008 ! Il s'est demandé à quoi bon servir un tel projet qui a coûté des centaines de milliards et exige autant pour son achèvement. N'est-il pas plus sage, s'est interrogé le conférencier, d'investir cet argent provenant des contribuables dans des projets culturels, en l'occurrence, un musée de l'art ? Sami Ben Ameur intervint pour présenter son exposé autour de « Le musée : ici et maintenant ! » Il avait l'air de pousser un cri pressant pour l'établissement de ce projet tant rêvé et attendu par les artistes tunisiens. Aussi faut-il agir en action commune pour exercer des pressions sur ceux qui détiennent le pouvoir politique ; car un musée d'art est une entreprise capable de conserver l'histoire, l'imaginaire et la mémoire culturelle de tout un peuple. Ensuite, ce fut le tour de Moez Safta qui donna dans sa communication les raisons pour lesquelles il faudrait avoir un musée d'art contemporain, car en présence d'un musée de l'art, on n'aura plus besoin de la commission d'achat du ministère qui est en train d'acquérir des travaux plastiques parfois sans valeur. Selon Moez Safta, le musée ne sera pas un grenier à conserver des œuvres, mais il constituera la pierre angulaire dans la conservation d'une culture identitaire et de la sauvegarde du patrimoine. Puis, ce fut la communication de Karima Ben Saâd où il était question du capital de l'art plastique en Tunisie entre le moderne et le contemporain. Elle a souligné la nature dynamique et changeante de l'art et des techniques utilisées en démontrant la nécessité d'avoir un musée de l'art en Tunisie de par le rôle important qu'il va jouer au 21è siècle. La deuxième journée qui a eu lieu le 15 février au Centre culturel de Sousse, a été consacrée à la troisième séance scientifique intitulée « Quels sont nos besoins d'un musée de l'art ? Quel est son apport au secteur des arts et de la culture nationale ? » Wissem Gharsallah a présenté un exposé où il a appelé à la création d'une institution muséale pour les nombreux avantages qu'elle pourrait fournir au domaine plastique et à la culture en général. Il a cependant reconnu les difficultés matérielles qui empêchent la réalisation de ce projet. Cependant, en l'absence d'un seul grand musée à la capitale, il proposa un petit musée dans chaque région du pays. Toutefois, il faudrait que tous les peintres s'unissent pour atteindre leur objectif. Hafedh Jedidi a choisi comme sujet « le musée comme espace interactif de la mémoire » Selon lui, si le musée est le lieu privilégié de la préservation des œuvres d'art, il n'en demeure pas moins qu'il pourrait contribuer à la conservation de la mémoire collective et à consolider l'identité culturelle. Awatef Mansour a parlé de l'institution muséale et ses fonctions dans la dynamique de la culture artistique. Elle a souligné entre autres, le rôle important joué par un musée dans la société, la culture et l'économie du pays, aussi peut-on le considérer comme un produit du tourisme culturel qui pourrait drainer des milliers de touristes étrangers. Le musée, a-t-elle conclu, est la devanture du pays qui expose sa culture et son patrimoine. Enfin, Naceur Ben Cheikh prit la parole pour rappeler que « le musée n'est pas fait pour exhorter les artistes à la création, mais plutôt parce qu'il y a une production abondante ». Par ailleurs, il a indiqué que la construction d'un musée est l'affaire de l'Etat, les peintres sont appelés seulement à produire, à créer ! En conclusion, il a été procédé à la lecture des recommandations émanant des travaux de ce colloque dont on retient essentiellement : le projet d'un musée de l'art est devenu une nécessité absolue, la réalisation d'un tel projet dans notre pays est à ne plus retarder, étant un moyen pour offrir une bonne image de la Tunisie sur le plan artistique et contribuer à son rayonnement culturel à l'étranger, la nécessité de mieux entretenir les acquisitions de l'Etat dont la majorité sont dans un piteux état alors qu'elles sont le témoin de l'histoire culturelle et artistique de la Tunisie depuis des décennies, l'appel à l'attention des autorités de considérer ce projet comme étant l'un des soucis dans leurs politiques culturelles tout en comptant sur les efforts à fournir par les artistes-peintres qui doivent serrer les rangs notamment dans les régions du pays et apporter leurs suggestions pour œuvrer à la réalisation de ce projet. Les artistes s'expriment En marge de ce colloque, nous avons abordé quelques artistes et spécialistes en arts plastiques qui nous ont confié leur point de vue autour de la création d'un musée artistique en Tunisie. Mohamed El Ayeb (artiste-photographe et galeriste) « Le musée de l'art, c'est mon grand souci et c'est aussi le rêve de tous les artistes tunisiens. C'est une valeur ajoutée pour la culture et l'art dans ce pays. On peut même parler de plusieurs musées installés dans les grandes villes. Pourquoi pas ? Il faut penser aux visites qui se multiplient, au tourisme culturel et aux grandes ressources matérielles importantes qu'un tel projet peut procurer, sans parler des postes d'emploi qui peuvent être créés. Et puis, ce projet est capable de se financer par lui-même et de gérer ses propres affaires sans jamais avoir recours aux subventions de l'Etat. Ce ne sera pas bien sûr un lieu figé qui aura pour seule tâche de conserver les plus belles œuvres, mais un endroit de rencontres avec les étudiants, les spécialistes, les experts, les collectionneurs et les critiques de l'art nationaux ou étrangers. Cela nous donnera tout un dynamisme sur tous les plans (social, culturel, économique...) » Abdelmajid El Bekri ( artiste-peintre) « En matière de muséologie, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, il faut réfléchir avant d'agir. L'idée d'avoir un musée de l'art n'est pas nouvelle en Tunisie, mais elle a toujours été escamotée pour des raisons diverses. Cependant, selon le concept moderne, un musée ne peut être que dans le plein air, histoire d'embellir la ville et donner l'occasion aux passants de jouir de l'art à tout moment, jour comme nuit. Le projet prend ainsi une dimension sociale. En Tunisie, il faut préparer le terrain à la création de ce musée, il faut que tout le monde mette la main à la pâte (peintres, responsables, historiens, sociologues, galeristes, collectionneurs...) pour réussir cette entreprise culturelle de grande envergure. » Ali Zénaidi (artiste-plasticien) « Un tel projet requiert des efforts gigantesques de toutes les parties agissantes dans le domaine de l'art. Parlons d'abord des milliers d'œuvres acquises par le ministère de la culture depuis des années et qui gisent actuellement dans un local à Kassar Saïd où les conditions d'hygiène et de conservation font défaut et qu'il faut les sauver immédiatement et en trier les meilleures pour les exposer dans un futur musée qui devrait être bâti suivant des normes internationales. Aussi peut-on recourir aux expériences de ceux qui nous ont précédés dans ce domaine ». Moncef El Mansi : (artiste-peintre et expert consultant en coopération au développement de la Commission Européenne) « Je crois que c'est un projet urgent en Tunisie. En tant qu'expert et consultant en arts auprès des pays tiers méditerranéens (PTM), je peux aider le maximum à réaliser ce projet, comme je l'ai fait au Liban, en Jordanie, à Kosovo et en Bosnie. A mon avis, il n'y a pas de pays en développement comme le nôtre aspirant à la création d'un musée de l'art sans avoir recours à un partenariat ; il faut élaborer d'abord une stratégie d'action constituée de comités de travail pour faire les études nécessaires et préparer le terrain à ce genre de projet pour partir du bon pied. Comment rassembler l'argent nécessaire à la réalisation de ce projet. Personnellement, je suis prêt à mettre mon expérience à la disposition de ce projet ». Propos recueillis par :