« Le problème de la nature du régime ne réside pas dans le texte de la Constitution mais dans la pratique » affirme le Constitutionnaliste Kais Sayed La Constitution a institué un régime parlementaire mixte, après de longs débats. Quatre mois après la passation des pouvoirs entre le président provisoire et l'actuel locataire de Carthage, les positions, la posture, la position du grand public s'attachant au « Chef sauveteur », la personnalisation du pouvoir, font que tous les regards sont dirigés vers Carthage, alors que les tâches les plus lourdes, les affaires économiques et sociales, culturelles....sont gérées à La Kasbah, selon la Constitution. Le président s'attribue la représentation du pays, les grandes lignes de la politique étrangère, la défense et la sécurité nationale. Il est de notoriété publique qu'un disciple de Bourguiba écoute, mais ne partage pas. Ayant à portée de main un chef de Gouvernement, plutôt démocrate et non porté sur la communication avec une préférence pour le travail, et voilà que la voie est grande ouverte devant Essebsi pour devenir le seul héros pour qui les ministres et leur subordonnés sont là pour exécuter ses décisions. Pourquoi avoir fait Kasbah1 et Kasbah2 et opter pour des élections dont l'objectif est d'élire des Constituants qui rédigeront avec beaucoup de retard, une Constitution, si dans la pratique, à la manière d'Essebsi bien fidèle aux réflexes (qu'il connait trop bien !) du Combattant suprême, on va se retrouver dans la case départ ? On aurait pu garder la précédente Constitution, lui apporter les améliorations nécessaires et épargner au pays 4 ans de provisoire. Il faut avouer que, psychologiquement parlant (et il l'avait bien dit depuis qu'il était chef du Gouvernement sous Foued Mebazaâ), il ne laisse personne décider à sa place. « Seul, je décide », clamait-il tout haut, dans une posture d'un chef d'Etat qui ne joue pas les jeux du faux partage du pouvoir. Sa responsabilité, il l'assume du début jusqu'à la fin ; « Sans partage », dit-il. Il y va de sa conception du prestige de l'Etat. La lutte contre le terrorisme, un bon alibi La prédominance du Président de la République par rapport à ses attributions constitutionnelles sur le Gouvernement et son chef, semblait prévisible, pour nombreux observateurs avertis. Ainsi, le jeune brillant constitutionnaliste Jawhar Ben M'Barek, ne mâche pas ses mots. Pour lui, une certaine hégémonie du Président sur ses ministres et son chef du Gouvernement est une réalité de plus en plus criante. Comment expliquer la montée du locataire de Carthage et la baisse du héros du palais de la Kasbah ? Il faut tout d'abord reconnaître que Habib Essid avec son penchant de technocrate bosseur, peu intéressée par la médiatisation, en fait un bon candidat pour le profil préféré par Essebsi. Le jeune constitutionnaliste explique cette prédominance de Carthage, d'abord par « les textes constitutionnels qui ne s'appliquent pas en dissociation avec la réalité des rapports de forces politiques. Ces rapports sont en faveur du Président de la République, qui au-delà de son élection au suffrage universel, est réellement le président et le leader du parti majoritaire. Sa démission de la présidence de Nida Tounès n'est qu'illusion. Il continue à gérer même les conflits internes de Nida, à partir de Carthage ». Une question s'impose, est-il possible que l'amour du pouvoir au service de la Tunisie, entraîne le président à violer la Constitution ? Pour nombreux observateurs, rien n'est exclut au nom de l'unité nationale et la sacré union dans la lutte contre le terrorisme. Etant en guerre contre ce phénomène, BCE devient Chef Suprême dirigeant la guerre contre l'ennemi commun. Avec cette posture, qui discuterait les décisions d'un chef de guerre au moment des opérations et des combats ? Personne ! Interprétation abusive de la Constitution Et au constitutionnaliste d'ajouter : « Chose grave et capitale, nous frôlons la violation de la Constitution par le président de la République parce que tout simplement, il est en train d'empiéter massivement sur les attributions du chef du Gouvernement et de celles de ses ministres. Il s'immisce dans la politique économique et sociale. Commençons par les Affaires étrangères. La Constitution a accordé au Président de fixer les grandes lignes de la politique étrangère et non les attributions effectives et techniques de la diplomatie tunisienne qui a capitalisé des méthodes bien efficaces et maîtrise les fondamentaux hérités de Bourguiba. Un autre exemple : l'initiative de la Réconciliation nationale. Elle est une sorte d'ingérence dans la vie politique et législative qui n'est pas de son ressort. Le problème provient d'une interprétation abusive du concept de la Sécurité nationale, élargi désormais à la sécurité économique et sociale. Ce qui permet au Président de la République d'intervenir dans tous les domaines y compris l'éducation, la culture et pourquoi pas le sport pour les matches chauds. Et ce, par exemple en considérant, les mouvements sociaux même dans un stade et le mouvement syndical, comme celui des enseignants, comme une menace à la sécurité nationale, rattachée, même, parfois, à la lutte anti-terroriste. Le pays est en train de vivre un virage vers le présidentialisme, tout à fait contraire à l'esprit et au texte de la Constitution. Chose aggravante, le chef du Gouvernement a l'air de s'accommoder de cette situation. Il était même choisi en fonction de cette capacité d'effacement devant le Président. » C'est le chef qui incarne l'Etat Quant à Kaïes Sayed, un vieux routier du Droit constitutionnel, il déclare au Temps : « Le problème de la nature du régime ne réside pas dans le texte de la Constitution, mais dans la pratique. Une nouvelle Constitution n'est pas une somme de dispositions nouvelles, mais, surtout, une nouvelle pensée politique. Or, il semble que cette pensée politique, telle que nous le constatons dans les faits, n'est pas nouvelle. L'esprit de l'ancienne pratique du pouvoir, est le même qu'aujourd'hui. Le Centre du pouvoir est toujours le Palais de Carthage. Même si dans le texte de la Constitution, le pouvoir exécutif appartient essentiellement au Gouvernement, le glissement du pouvoir d'un Palais à un autre (de La Kasbah à Carthage) s'est réalisé, essentiellement parce que les résultats des élections législatives et la présidentielle ont donné une mosaïque qui a fait que le Chef de l'Etat, en même temps chef du parti majoritaire, a une place qui n'est pas celle qui a été prévue dans le texte de la Constitution. Sur un autre plan, le problème se situe au niveau de la psychologie sociale. La personnalisation du pouvoir est la règle depuis des siècles en Tunisie. C'est le chef qui incarne l'Etat. Il dépasse les institutions et s'identifie à l'Etat lui-même. D'où les risques d'une nouvelle dérive présidentialiste. Par ailleurs, la société civile qui était active lors des élections, où est-elle aujourd'hui pour attirer l'attention et tirer la sonnette d'alarme avant que le mal ne se produise ? En plus, la société qu'on qualifie toujours de civile, l'est-elle réellement