Il est certes un peu tôt pour se prononcer et analyser l'efficacité de ce système dont l'exécution a marqué la rentrée universitaire 2007-2008, mais les premières observations méritent quand même qu'on s'y attarde. Désorientés au début, on s'est laissé convaincre finalement, et puis tout le monde était content. La théorie n'ayant rien à voir avec la pratique, qu'est ce que cela donnera-t-il ? Nous avons besoin de nous intéresser à la manière dont les professeurs et les étudiants affrontent ensemble cette attaque d'ovnis. Certains professeurs étaient désorientés avant le début des cours. La grande problématique : comment peut-on inculquer le maximum aux étudiants en l'espace de trois ans, sans toutefois les saturer ni les déboussoler ? Il a été convenu en fin de compte que le programme serait dépouillé en quelque sorte, et les modules ont été revus de long en large. Cependant, il y a lieu de se demander si cela a été fait avec un certain accord entre les professeurs des différentes spécialités, histoire d'envisager un bon équilibre et de faire en sorte que le L.M.D. ne soit pas un nouveau ratage, mais bel et bien le meilleur des systèmes de l'enseignement supérieur jamais adoptés en Tunisie. Par exemple Nous prendrons le cas de la Licence fondamentale de littérature, langue et civilisation françaises (autrefois appelée «Maîtrise de Français», tout court). Comme son nom l'indique, les étudiants sont amenés à étudier la littérature (roman, poésie et théâtre), la langue (la grammaire qui remplace la syntaxe, l'expression écrite et l'expression orale) ainsi que la civilisation française, qui est plus une sorte d'introduction à la matière. Tout le monde a remarqué la différence du nouveau programme par rapport aux années précédentes, qu'ils identifieraient presque comme une baisse de niveau et un retour aux choses rudimentaires. Les professeurs eux-mêmes insistent sur le fait que la première année n'a rien à voir avec les classes supérieures, et qu'il s'agit pour le moment d'inculquer les bases, de faire une totale remise à niveau, afin de trier les étudiants qui méritent de passer en deuxième. Inculquer les bases, remise à niveau, révision générale, d'accord, on veut bien. Oui, il y a des étudiants en français qui ne savent pas différencier entre les verbes du second groupe de ceux du troisième groupe ; ils ignorent comment et quand faire l'accord du participé passé, reconnaître le sujet dans une phrase, etc. Des lacunes pareilles sont remédiables (cela dépend de la façon de voir les choses, en fait), mais pour un étudiant qui a choisi une telle section et qui assiste régulièrement aux cours dans le but de devenir, peut-être bien, lui-même enseignant, ne doit-il pas être d'ores et déjà animé par sa passion pour la langue française, et de ce fait n'est-il pas censé connaître les bases de la langue, qu'il a apprises à l'école, au collège, au lycée, qu'il a normalement acquises ? Ce qui ne nécessiterait pas un retour aux bases à la faculté, ou bien les professeurs universitaires savent-ils que le système a beau avoir changé, cela ne limitera pas l'affluence des étudiants qui croient que le français est une matière comme les autres, et dont ils veulent pourtant faire leur spécialité ? Des étudiants dont la dernière lecture remonte à «Une Vie» de Maupassant en deuxième année secondaire, des étudiants qui ânonnent encore, des étudiants qui croient que «IIIe République» ainsi que Georges Pompidou et François Mitterrand étaient des rois de France ? Contrastes Alors, en première année français - très sérieuse d'après l'appellation, on pense tout de suite à la spécialité, à la littérature comparée, aux critiques littéraires, à la rhétorique -, on prend la peine d'enseigner à cette catégorie d'étudiants, en expression écrite, comment rédiger une lettre, comment établir un portrait, décrire le visage, les yeux la bouche, mettre en ordre une recette de cuisine, remplir des blancs dans un article, etc. En expression orale, on leur demande d'écouter l'enregistrement et de compléter le tableau qui parle des parents d'Untel, de mettre l'accent sur l'intonation, de parler de ses voisins, de décrire les membres de son arbre généalogique, de reconnaître quelqu'un dans le dessin d'une foule, et ainsi de suite. Ils auront à produire un texte dans cet ordre-là pendant le devoir. Le manuel sur lequel ils étudient est un livre pour les personnes qui commencent à apprendre le Français. Et d'un autre côté, il y a les cours de littérature, les étudiants sont immergés dans les textes de Maupassant, de Balzac, de Victor Hugo, de Gide, ils découvrent la littérature francophone, ils sont confrontés à des mots difficiles, des expressions qu'ils doivent connaître. Ils étudient Molière en cours de théâtre, ils lisent des textes dans le français du XVIIe siècle, ils découvrent le Romantisme de Musset, etc. En cours de Poésie, ils ont Lamartine, Vigny, ils doivent interpréter les images, analyser les métaphores filées, ils peinent à se retrouver dans l'analyse du poème que fait le professeur par analogie à un tableau de peinture. Et pendant l'examen, ils seront contraints de produire une dissertation sur un certain thème, avec des arguments pertinents, des citations d'écrivains et un niveau de langue irréprochable. Commence-t-on à sentir les dégâts ? Comment les professeurs y feront-ils face, sachant qu'on a imposé aux professeurs eux-mêmes un tel programme ? Les étudiants sentiront-ils finalement que leur place n'est pas là, ou bien attendront-ils d'être tous recalés en fin d'année ? Le début du nouveau système, excellent dans l'ensemble, ne sera-t-il qu'un mauvais départ qui sera corrigé par la suite, quand on aura trouvé la faille dans le système ? Malheureusement, le cas de la licence de français n'est qu'un exemple.