Le terrorisme a de nouveau frappé en Tunisie, cette fois, au cœur de Tunis, à quelques mètres du ministère de l'Intérieur. Le lendemain de l'attentat a été lourd pour toute la Tunisie mais surtout, pour la classe politique du pays. Une classe politique qui nous fait vivre depuis quelques mois ay rythme des querelles et des crises infinies. Nous nous sommes rendus à l'Assemblée des représentants du peuple pour poser la question aux concernés. Les réponses ont été mitigées mais, sur le coup du choc, les déclarations ont traduit une certaine bonne foi et une envie de dépasser les querelles et d'aller de l'avant. Salem Labyadh, député du bloc du Mouvement du peuple ‘La classe politique n'est malheureusement pas assez mûre pour arrêter les tiraillements qui prennent le dessus en ce moment. Personnellement, j'ai averti mes collègues – lors de la querelle qui a tourné autour de la présidence de la commission des Finances – du danger du terrorisme qui risque de déstabiliser le pays au cas d'un blocage politique. Les partis politiques n'estiment pas la gravité de la situation que nous vivons et ne pourront donc pas agir en conséquence. Nous vivons une vraie guerre contre le terrorisme et ni le gouvernement ni l'opposition n'ont réussi à comprendre le danger qui guette le pays. La preuve c'est que ces crises politiques concernent presque tous les acteurs de la scène qui ne se soucient presque plus de trouver des solutions efficaces pour stopper le fléau du terrorisme. Aujourd'hui, l'Etat est dans l'obligation de changer sa stratégie sécuritaire parce que les défaillances ne peuvent plus être pardonnées.' Leila Chettaoui, porte-parole du bloc parlementaire de Nidaa Tounes «Aujourd'hui, je suis furieuse contre la classe politique dont je fais partie. A-t-on le droit de continuer à nous battre de la sorte après ce qui s'est passé ? Et là je ne parle pas uniquement de ce qui se passe au sein de Nidaa Tounes mais de toutes les parties politiques du pays. Pour ce qui est de Nidaa Tounes, la priorité aujourd'hui est à la Patrie : ceux qui vont le comprendre prendront les devants et avanceront, ceux qui ne le comprendront pas resteront en arrière. Si l'Etat s'effondre, il nous ne restera rien de ce pourquoi nous nous battons aujourd'hui. » Yamina Zoughlami, députée du bloc parlementaire d'Ennahdha « Je suis une mère avant tout, la première chose à laquelle j'ai pensé en apprenant la nouvelle était la terreur qui devait régner au sein des familles des défunts. Tous les politiciens doivent assumer leur responsabilité devant ce qui se passe dans le pays. On aura le temps de nous disputer, aujourd'hui, la place est à l'union nationale, la priorité aujourd'hui est à la mise en place d'un vrai congrès contre le terrorisme loin des protocoles et de la langue de bois. A ceux qui accusent Rached Ghannouchi d'être à l'origine de l'expansion du terrorisme, je réponds que cette accusation est portée à tort. Quand Ghannouchi les avait qualifiés de ses enfants et de porteurs d'une nouvelle culture, il ne parlait pas des terroristes. Je suis prête à descendre à l'avenue Habib Bourguiba pour crier qui a tué Belaïd... Sinon, et si l'on souhaite aujourd'hui juger les personnes, il faudrait commencer par demander des comptes au gouvernement de Béji Caïd Essebsi de 2011 qui a vu se tenir le premier congrès d'Anssar Al Chariaa. Il n'existe aucune partie politique qui souhaite voir le terrorisme prendre le dessus en Tunisie, alors dépassons et avançons. » Mustapha Ben Ahmed, député démissionnaire du bloc parlementaire de Nidaa Tounes « J'espère que cet attentat réussira à éveiller les consciences. Je ne peux pas vous dire que cet attentat mettra fin à la crise de Nidaa Tounes, cela serait laisser parler mes sentiments. Il faut que l'on se remette en question et que l'on essaie de retrouver la bonne voie. » Anis Ghedira, secrétaire d'Etat chargé de l'Habitat auprès du ministre de l'Equipement et de l'Aménagement ‘La crise qui ravage Nidaa Tounes fait désormais partie de l'histoire ancienne. On va passer à autre chose pour servir l'intérêt général de notre nation. « Nous ne serons jamais vaincus par des lâches » Le jour de l'attentat, nous avons réussi à approcher les lieux une heure après les faits. Un silence solennel était percé, de temps à autre, par le son des sirènes des ambulances. L'odeur du sang frais était mélangée à une odeur d'explosif insoutenable. Dans un coin se tenait un jeune homme, habillé en civil. En l'abordant, nous avons appris qu'il est agent de la Garde présidentielle et qu'il avait pris le deuxième bus laissant ainsi son camarde, Omar, prendre le premier bus, celui qui a été visé par l'individu kamikaze. « J'ai son téléphone portable sur moi, j'ai dû l'éteindre à cause des appels incessants de sa famille. Omar était plein de vie, hier encore il me parlait de la fierté qu'il a ressentie en donnant de l'argent à sa mère... Je ne suis ni effrayé ni triste, je suis juste furieux contre cet individu parce qu'il nous a pris par surprise, il a été lâche et médiocre, nous ne serons jamais vaincus par des lâches. » Quelques minutes après cette conversation, les parents d'Omar sont arrivés sur les lieux et ont appris le décès de leur fils... L'un des agents de la Protection civile nous a parlé de « l'insouciance » de certains conducteurs qui ont refusé, sur l'autoroute reliant la banlieue au centre ville, de céder le passage aux ambulances et aux véhicules de la Protection. ‘Il nous a fallu presque une heure pour arriver sur les lieux. Malgré les appels radiophoniques et les sirènes, certains conducteurs ont carrément refusé de s'éloigner pour nous céder le passage. L'angoisse était à son comble et il fallait que l'on gère le stress pour que l'on puisse arriver sur place dans les plus brefs délais... Je crois qu'ils ont fait exprès de frapper à une heure de pointe, pour retarder les secours. » De leur côté, les agents de l'ordre présents sur place étaient sur les nerfs. Un état tristement compréhensible vu la situation mais, malheureusement, certains de nos collègues n'ont pas compris le message et sont même entrés en confrontation avec les sécuritaires qui ont refusé que les caméras filment les lieux du crime... Salma BOURAOUI Ali Zarmdini, expert en stratégies sécuritaires : «Tous les gouvernements post-révolution ont contribué à la métastase de la gangrène extrémiste» L'ancien colonel de la Garde nationale et expert en stratégies sécuritaires, Ali Zarmdini, pense que les différents gouvernements qui se sont succédés depuis la révolution ont permis, par laxisme ou calculs étriqués, à l'hydre terroriste d'étendre ses tentacules. Le Temps : Comment expliquez vous la recrudescence des attentats terroristes dans les villes ? Ali Zarmdini :Dans un premier temps, les groupes terroristes se sont retranchés dans les massifs montagneux de Chaâmbi (Centre-Ouest). C'est là qu'ils ont réussi à stocker armes et munitions, à s'entraîner et surtout à établir des connexions avec des terroristes algériens aguerris, dont des vétérans des guerres de l'Afghanistan et du nord du Mali. Dans le même temps, ils ont entrepris des recrutements grâce aux tentes de prédication qu'ils organisaient en pleine rue et jusque dans les enceintes des universités, ainsi que grâce aux aides sociales distribuées dans les zones marginalisées par le biais de pseudo-associations caritatives. Ils sont ainsi parvenus à occuper le terrain, en profitant du vent de liberté qui flottait sur le pays et surtout du laxisme des autorités. Ils sont désormais parmi nous et ils disposent de plusieurs caches d'armes qui leur permettent d'opérer aussi bien dans les villes que dans les montagnes. Dans ce cadre, tous les gouvernements qui ont dirigé le pays depuis la chute du régime de Ben Ali ont contribué, à des degrés différents, à la métastase de la gangrène extrémiste. Ces gouvernements ont décrété une amnistie générale sans discernement, fermé les yeux sur les activités prédicatives en pleine rue, limogé les cadres de renseignement les plus compétents et autorisé la dissolution de la direction de la sûreté de l'Etat. Certains l'ont fait par laxisme alors que d'autres avaient des calculs politiques ou partisans étriqués. Bien évidemment, les gouvernements de la Troïka assument la plus grande part de responsabilité dans ce cadre. Le fait de cibler la garde présidentielle, qui est un corps d'élite bien entraîné et bien équipé, a-t-il une signification particulière ? Il ne faut pas tomber dans le piège de la propagande pro-terroriste. L'attentat suicide perpétré mardi a ciblé des agents de la garde présidentielle désarmés qui rentraient chez eux. Les terroristes n'auraient jamais pu causer le moindre dégât humain si ces agents étaient armés ou étaient sur leurs lieux de travail. Leur acte est lâche et désespéré. Toujours est-il que des défaillances existent sur le plan du renseignement. Or, l'information est capitale dans guerre contre le terrorisme, et c'est que le bât blesse. Quelle est justement la stratégie sécuritaire qui doit être mise en œuvre pour réduire la capacité de nuisance des groupes terroristes ? La guerre contre le terrorisme doit être menée sur plusieurs fronts. Il faut d'abord renforcer le dispositif de contrôle au niveau des frontières nationales. Ce chantier passe en premier lieu par le renforcement de l'aspect génie militaire qui représente l'ensemble des techniques de défense des places, des postes, et de construction des infrastructures nécessaires à cet effet. Cela doit particulièrement concerner nos frontières avec la Libye vu que ce pays s'est transformé en une plaque tournante du djihadisme armé. L'autre front important est celui du renforcement des moyens humains et logistiques dont disposent les services de renseignements, en réintégrant les compétences limogées par les ex- ministres de l'Intérieur Farhat Rajhi, Lotfi Ben Jeddou et Ali Laârayedh. Lutter contre le terrorisme, c'est aussi assurer que l'information circule de manière parfaitement fluide entre les services de l'Etat. Dans ce cadre, il est étonnant de voir des artères névralgiques de la capitale et des bâtiments publics importants non équipés de caméras de surveillance ! Et face à des groupes terroristes qui se jouent des frontières, il est nécessaire de renforcer la coordination avec les services de renseignements d'autres Etats. La guerre contre le terrorisme est aussi financière. Dans ce volet, il est urgent de créer une structure spéciale pour traquer et mieux identifier les sources de financement des organisations terroristes et de renforcer le contrôle des opérations de change. Et last but not least, l'Etat gagnerait à améliorer la situation morale et matérielle des agents de sécurité. Il est désolant de voir encore des agents de police ou des militaires en uniforme faire de l'auto-stop pour regagner leurs domiciles ! Propos recueillis par Walid KHEFIFI Le terroriste aurait voulu se faire exploser au Palais de Carthage Les agents de l'Unité nationale de la police judiciaire à El Gorjani, ont entamé l'enquête dans l'opération terroriste perpétrée avant-hier contre les agents de la garde présidentielle, en vertu d'une commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction près le Pôle judiciaire pour la lutte contre le terrorisme. Les agents enquêteurs ont commencé par procéder à des constats en se transportant sur les lieux du drame, avec le procureur de la République et le juge d'instruction chargé du dossier, pour recueillir le plus d'éléments possibles, dont des témoignages révélant que le terroriste serait un jeune homme d'une trentaine d'années. Il s'agirait de quelqu'un qui n'était pas barbu, avec des kits aux oreilles et qui portait un petit sac de sport. Il serait monté dans le bus où se trouvaient les agents de la garde présidentielle, sans donner l'air d'être troublé et se serait assis à l'avant du véhicule près du conducteur. Celui-ci, (il s'agit du martyr Tarak Bousenna) lui aurait demandé ce qu'il venait faire, et il aurait répondu avec sansg froid : je suis un collègue. Le conducteur lui aurait demandé alors d'exhiber sa carte professionnelle. D'autres agents se seraient levés pour intervenir, mais l'irrémédiable s'était produit : L'intrus a commencé d'abord à crier « Allah Akbar » avant d'appuyer sur le bouton de la ceinture explosive qu'il portait. Cette ceinture contenait du « Semtex » un produit explosif plus puissant que le TNT,. C'est ce même produit « Semtex » qui se trouvait dans la ceinture explosive de celui qui a effectué l'opération terroriste dans un hôtel à Sousse L'enquête se poursuit pour connaître si le terroriste en question avait l'intention de se transporter avec les gardes jusqu'au palais de Carthage, là où il avait peut-être l'intention d'accomplir son acte abjecte et infâme.