Sauf accord de dernière minute, le 10ème congrès d'Ennahdha, qui doit se tenir vers la fin du mois d'avril prochain, sera celui de la confrontation entre modernistes et conservateurs, entre dirigeants de l'extérieur forcés à l'exil pendant plus d'une vingtaine d'années et cadres restés au pays dans les geôles de Ben Ali ou sous étroite surveillance de sa police. Ce clash repoussé à plus tard lors du 9ème congrès organisé en juillet 2012 au parc des expositions du Kram risque fort de se produire durant le deuxième congrès à se tenir en public (les huit premiers ayant eu lieu dans la clandestinité et en petit comité, NDLR). Le mouvement islamiste ne cache d'ailleurs plus ses divisions, et on est bien loin de la charte constitutive des Frères musulmans qui enjoint aux militants de rester unis pour le meilleur et pour le pire ad vitam aeternam, au risque de se faire excommunier. En attestent les divergences apparues lors des travaux de la 41ème session du Conseil de la Choura au sujet de la restructuration du mouvement et plus particulièrement les modalités d'élection du président et du choix des membres du Bureau exécutif du parti. De nombreux cadres embastillés durant les 23 ans de règne de Ben Ali ont en effet proposé l'élection du président du parti par les membres du Conseil de la Choura, arguant que cette instance consultative doit rester la plus haute instance dirigeante du mouvement et l'autorité suprême entre deux congrès. « Je n'ai pas objection contre la réélection du cheikh Rached Ghannouchi à la tête du mouvement mais nous avons aujourd'hui besoin d'une bonne dose de démocratie, de transparence et de libre compétition», a argumenté le vice-président du parti Abdelhamid Jelassi dans un entretien publié jeudi par le journal Al-Qods al-Arabi. «Le prochain congrès sera marqué par la compétition entre plusieurs candidats à tous les niveaux de responsabilité», a ajouté ce dirigeant qui figure parmi les principales figures de l'aide dite des «nahdhaouis de l'intérieur», qui ont purgé de longues peines de prison ou placés sous contrôle administratif sous le règne de Ben Ali. Limiter les prérogatives de Rached Ghannouchi Les cadres appartenant à cette aile, qui comprend aussi des durs à cuire à l'instar de Sadok Chourou et Habib Ellouze, ont aussi tenu, lors de la dernière session du Conseil de la Choura, à ce que les membres du Bureau exécutif ne soient plus désignés par le président du parti comme cela a toujours été le cas depuis la création d'Ennahdha en 1981. Sous couvert du respect des pratiques démocratiques, les anciens prisonniers d'Ennahdha manœuvrent ainsi pour limiter le pouvoir du tout puissant cheikkh Rached Ghannouchi dans une première étape, et peut-être pour l'évincer ultérieurement de la présidence du mouvement. Les germes d'une grogne grandissante contre la mainmise de Rached Ghannouchi sur le parti se sont déjà fait sentir lors du précédent du congrès quand le leader historique n'a été réélu que par 74 % des délégués, et lorsque son pouvoir a été contrebalancé par l'élection de l'ultraconservateur Sadok Chourou à la tête du Conseil de la Choura. L'autre grande ligne de fracture entre les dirigeants «de l'extérieur» réputés pour être très politisés et pragmatiques à souhait et les ex-prisonniers concerne l'épineuse question de la séparation entre le politique et le religieux qui revient à laisser la promotion des valeurs religieuses et la prédication à la société civile et à respecter scrupuleusement les règles de la compétition politique inscrite dans la Constitution et stipulant qu'aucun parti ne doit s'accaparer le monopole de la religion. Alors que Rached Ghannouchi et ses fidèles affirment désormais que la prédication devra évoluer dans un autre espace au regard de l'ouverture caractérisant le champ associatif, le camp adverse avertit que cette mue programmée risque de faire perdre au parti son référentiel idéologique et, par conséquent, son âme.