La société tunisienne se caractérise par une structure sociale homogène marquée par l'existence d'une classe moyenne fortement ancrée, ce qui est un facteur de consolidation de la paix et du maintient de la stabilité économique et sociale. L'amélioration continue du cadre et des conditions de vie telle que reflétée par les principaux indicateurs relatifs au bien-être de la population a également contribué à l'élargissement de cette classe moyenne. Mais est-ce un bien-être de façade? Le revers de la médaille est –il aussi réjouissant?
En effet, l'évolution du cadre de vie du tunisien moyen est imputée à l'augmentation de ses revenus mais également à l'endettement qui revête plusieurs formes et tend à prendre des proportions considérables. Le tunisien moyen vit-il aujourd'hui au dessus de ses moyens?
Evolution et acquis de la classe moyenne:
La classe moyenne, fierté du modèle de développement tunisien, s'est élargie et a renforcé son positionnement dans la structure de la population du pays. Cette catégorie dont les dépenses annuelles varient entre 585 dinars et 4000 dinars (à prix courants), représentait en 2005, 81.1% du total de la population, contre 77.7% en 2000, 70.6% en 1995 , et 44% en 1975. Les principaux facteurs ayant contribué au renforcement de la place de la classe moyenne sont: -La maitrise quasi-définitive de la croissance démographique -l'amélioration des niveaux de savoir, de culture et de scolarisation -l'augmentation du revenu annuel moyen -l'évolution des transferts sociaux La politique de l'Etat relative au maintient des acquis de la classe moyenne ainsi que l'élargissement du droit du bien-être se manifeste par les indicateurs suivants dégagés par le recensement général de la population et de l'habitat de 2004 :
-prés de 80% des ménages sont propriétaires de leur logement -66,5% des logements se composent de 3 pièces et plus -Le taux d'électrification rurale a atteint 98% en 2005 contre 75,6% en 1996 -Le taux de raccordement des ménages au réseau d'assainissement est de 79,7% en 2005 contre 62,6% en 1996 - 90% des ménages possèdent un poste de télévision , 21% une voiture privée ,35,6% un téléphone fixe et 46.1% un téléphone portable. -81.7% possèdent un réfrigérateur, 53% un four électrique et 34.5% une machine à laver . -6% des ménages possèdent un climatiseur ,7% un ordinateur personnel et 7,9% sont connectés au réseau internet.
Ces chiffres doivent être beaucoup plus élevés aujourd'hui au vu de l'augmentation des revenus, et des tendances de consommation. En effet depuis 2004 le revenu individuel annuel moyen a évolué comme suit:
D'autre part, l'évolution de la structure des dépenses des ménages est révélatrice des nouvelles exigences de bien-être et de certains acquis de la classe moyenne. En effet, selon l'INS les familles tunisiennes dépensent leur revenu selon les proportions suivantes: -34,8% alimentation -22,8% habitat -8,8% habillement -10,3% hygiène et soins -10,7% transport -3,7% télécommunications -2,8% enseignement -5,6% culture et loisir
Il est à noter que la rubrique télécommunication a connue une nette évolution avec l'avènement du portable passant de 1.1% en 2000 à 3.7% en 2005.
L'enquête nationale sur les dépenses, la consommation et le niveau de vie des ménages de 2005 a révélé dans son ensemble une amélioration nette des conditions de vie du tunisien et un meilleur accès aux services essentiels.
Néanmoins, en opérant une segmentation dans les dépenses annuelles de cette classe moyenne les disparités suivantes apparaissent :
-18.45% dépensent entre 4000 et 2250 dinars -25.05% dépensent entre 2250 et 1510 dinars -32.45% dépensent entre 1510 et 955 dinars -24.04% dépensent entre 955 et 585 dinars Donc à l'intérieure même de la classe moyenne il ya différentes franges, la plus importante en nombre (2640 mille personnes) étant celle où la dépense annuelle est comprise entre 1510 et 955 dinars .
En faisant une extrapolation au vu de l'augmentation des revenus, les 2 dernières tranches soit 56.49% de la classe moyenne (4596 milles personnes) qui ont dépensé en 2004 entre 585 et 1510 auraient dépensé en 2009 entre 828 et 2014 dinars par an (chiffres approximatifs) . Comment cette catégorie accède-t-elle au bien-être et au confort si ce n'est par le biais de:
Un recours excessif à l'endettement: L'endettement des ménages est ventilé en crédits logement, de véhicules, de prêts universitaires et de crédits à la consommation courante. Les crédits consentis pour le financement de l'habitat se taillent la part du lion des crédits non professionnels alloués par les institutions bancaires aux particuliers. Ceci est le revers de la médaille des indicateurs de bien être social évoqués plus haut.
Les facilités octroyées aux consommateurs les poussent à dépenser sans modération et sans discernement. En effet, encouragés par une offre pléthorique de la part des banques et des commerces spécialisés dans la vente à crédit , les tunisiens ne résistent plus aux tentations les plus démesurées. De l'appartement à la voiture sans oublier l'ameublement et même le téléphone portable hyper-sophistiqué , tout peut être acheté à crédit. Contracter un ou plusieurs prêts est aujourd'hui monnaie courante. Malgré le plafonnement par la BCT de la capacité d'emprunt à 40% du revenu mensuel du demandeur , le tunisien contourne facilement cette règle en recourant aux commerces vendant à tempérament et en contractant des crédits auprès de plusieurs établissements : banques, leasing, caisses sociales, mutuelles … et ce, au même moment.
Le nombre de ménages endettés est passé de 500.000 personnes en 2003 à plus de 800.000 en 2008, selon des estimations réalisées à partir de données recueillies auprès des banques.
Crédits non professionnels octroyés aux particuliers: chiffres significatifs
Les dernières statistiques de la BCT, mentionnent une augmentation sensible de l'encours des crédits non professionnels octroyés aux particuliers par le secteur bancaire passant de 3.073 millions de dinars à la fin de 2003 à 8.720 millions de dinars à la fin de 2009* cet encours ne reflète que les crédits bancaires nets au 31 décembre, déduction faite des remboursements intervenus en cours d'année.
Les crédits à la consommation sont passés de 0.9 milliard de dinars à fin 2003 à 1.9 milliard de dinars à la fin de 2009 soit du simple au double .
Les crédits logement sont passés de 2 milliards de dinars à fin 2003 à 6.4 milliards de dinars à fin 2009, soit 3 fois plus.
Il est à noter que les chiffres présentés ne comprennent pas les crédits à très court terme à savoir les découverts, les avances sur salaire, et autres…,ainsi que les crédits fournis par les commerçants et les entreprises privées à leurs clients et à leur employés. A défaut d'une base de données couvrant tous les établissements pouvant octroyer des crédits aux particuliers, les statistiques disponibles actuellement sur l'endettement des ménages n'en représentent qu'une partie.
Il serait nécessaire d'initier des instruments de mesure des dettes en Tunisie pour pouvoir mesurer les risques et trouver ainsi les remèdes nécessaires . Il faudrait une régulation continue pour contourner les effets pervers du poids de l'endettement sur les équilibres macro-économiques ainsi que sur la solvabilité des crédits bancaires.
Une mutation socio-économique:
Aujourd'hui tous les biens de luxe tendent à devenir des biens de première nécessité, et la frénésie de la consommation est devenue l'une des plaies de la société tunisienne.
Ce qui était un signe de richesse et d'appartenance à une certaine classe sociale ne l'est plus aujourd'hui! Car tout s'acquiert à crédit. On assiste à un grand changement dans les habitudes de consommation du tunisien ,les "mauvaises "habitudes occidentales s'installent chez nous avec une facilité et une rapidité étonnante: des fast-food aux incontournables sorties des week-end et des fameux projets de vacances , tout cela pour contrecarrer le stress et la routine qui deviennent le premier souci du tunisien ; et ce au niveau de toutes les catégories socio-professionnelles hommes et femmes confondues et parmi toutes les tranches d'âge. Le mimétisme et la frime aidant, la demande de consommation a connue une évolution exponentielle, chacun veut tout avoir, veut accéder à tous les surplus de la croissance, et à défaut de moyens on se rabat sur les prêts et la chasse au luxe devient la hantise de tout un chacun.
Le tunisien a tendance à mener un train de vie au-delà de ses capacités financières et à partir du 15 du mois le salaire est déjà dépensé ! Ce changement de comportement est dû entre autres à une nouvelle politique du crédit, en effet tout s'achète à crédit ! ceci reste dû aussi à l'impulsivité et au manque de maturité du consommateur tunisien. Il est à signaler que l'effet de l'entourage (58%) influe sur l'acte de consommation beaucoup plus que la publicité (26%), selon l'organisation de défense du consommateur. Donc le tunisien trouve du mal aujourd'hui à gérer ses priorités, il cède facilement aux tentations et devient sur-consommateur! Le niveau de vie s'est amélioré et les banques offrent une pléiade de nouveaux services, et la compétition entre les banques bat son plein. Toutes les banques de la place se font la concurrence dans le domaine des crédits à la consommation en offrant une palette de crédits :du credit expresso à omnia en passant par le crédit sayara, campus et syaha sans oublier le crédit Dari …La compétition pousse les banques à réduire leurs marges rendant ainsi le crédit accessible aux salariés des secteurs public et privé.
Nul ne nie que la relance de l'économie réside entre autres dans l'accroissement de la demande intérieure, dans la mesure où la stimulation de la consommation constitue un bon levier, mais sans pour autant que l'avenir des ménages soit hypothéqué par un surendettement. Lequel surendettement constitue un effet boom-rang qui menacerait d'appauvrissement notre fameuse classe moyenne.