Je suis un jeune tunisien en détresse. Dès que je pense à l'avenir, je me trouve piégé entre incertitude et désespoir. Je mène chaque jour un combat qui me parait de plus en plus perdu d'avance afin de réaliser mes ambitions. Du matin au soir et sept jours sur sept, loin de ma famille et de mes proches je suis sujet à tant de pressions aussi bien sur le niveau psychologique que physique. Non je ne suis pas un jeune tunisien au chômage, ni un jeune étudiant où élève ayant échoué aux cours de ses études. Je représente l'élite de l'élite de la République Tunisienne, ayant obtenu le diplôme de baccalauréat tunisien section mathématique avec mention très bien et une moyenne au-delà de 18 sur 20. Pour des jeunes comme nous, qui ont réussi leur baccalauréat avec autant de succès, il est évident que les meilleures portes s'ouvrent pour nous et qu'on ait le choix entre plusieurs prestigieuses opportunités. Nous, nous avons choisi l'Ipest: Institut Préparatoire aux Etudes Scientifiques et Techniques de La Marsa. Il s'agit de l'unique école préparatoire aux études d'ingénieur en Tunisie qui, au cours de deux ans, suit le système français. Nous étudions le programme français et nous suivons le même système de contrôle continu afin de passer, en plus du concours national tunisien, des concours français qui nous permettront d'être admis dans les meilleures écoles d'ingénierie française. Nous ne sommes que 90 et nous figurons parmi les 100 meilleurs bacheliers tunisiens de la promotion 2010. En juillet 2010, au cours de la première réunion des parents élèves, l'administration de l'Ipest nous a promis la meilleure formation de toute la Tunisie afin de passer ces concours-là, nous assurant ainsi d'intérer les meilleures écoles françaises.
Après plus de sept mois passés à l'Ipest, nous vivons dans une impasse. Dès le premier jour, la réalité nous a frappé de plein fouet: loin d'être une formation de haut niveau, l'encadrement au sein de l'Ipest, et plus précisément en ce qui concerne les matières de base qui sont: les mathématiques, les sciences physiques et la chimie est assuré par des professeurs agrégés. On ne peut nier que certains d'entre eux fonf de leur mieux pour nous permettre d'atteindre le niveau d'excellence requis, cependant, on se heurte face à l'incompétence de certains. Lors de la majorité de nos séances de cours nous avons assisté chaque jour pendant ces sept mois à un manque flagrant de pédagogie et d'efficacité de la part de certains de nos professeurs, voire même à des fautes scientifiques dans les énoncés de cours, des applications et travaux dirigés, au cas où il y en a et d'une absence presque totale des séances de travaux pratiques!
En d'autres termes, nous ne comptons que sur nous-mêmes, avec l'aide des livres français, pour revoir et comprendre le cours qui est sensé être assimilé en classe. Le rythme d'études en préparatoire étant connu par sa pénibilité, doit être à la fois accéléré et efficace. Il est carrément impossible d'atteindre le niveau désiré en ces conditions là d'autant plus que nous avons accumulé un retard d'un mois, voire plus. Le plus déstabilisant, c'est qu'on ait mis la barre très haut, elle est même inaccessible pour au moins 80% d'entre nous. En fait, aucun élève de l'Ipest ne possède la garantie de passer au moins un concours français. On se trouve totalement anéanti après aux ans éprouvants d'isolement du monde extérieur et de nombreux sacrifices pour se consacrer pleinement à la préparation des concours français qu'on nous empêche finalement de passer. Très peu d'Ipestiens ont droit à des dossiers pour les concours mines, Centrale et X, pour lesquels le taux de réussite est de plus en plus réduit. Ainsi l'avenir des Ipestiens est mis en question, surtout depuis qu'on avait soustrait l'un des concours des plus intéressants pour la majorité d'entre nous qui est le Concours Commun Polytechniques (CCP) sous prétexte que les écoles qu'offre ce concours ne sont pas à la hauteur de notre niveau. En réalité, malgré quelques écoles moins prestigieuses que d'autres, le CCP reste un concours qui nous offre plusieurs opportunités.
Des écoles telles que l'Institut Supérieur de l'Aéronautique et de l'Espace (ISAE), Ecole Nationale Supérieure d'Electronique, Informatique, Télécommunication, Mathématique et Mécanique de Bordeaux (ENSEIRB), Institut Supérieur de Mécaniques de Paris (Supméca) ne sont accessibles qu'à travers le CCP et offrent des études d'ingénierie d'électronique, d'informatique, de télécommunication, etc. Ces écoles-là nous offrent des opportunités dignes de notre statut d'élite.
Ecœurés par notre situation actuelle, nous nous sommes unis pour protester et réclamer nos droits. Nous ne revendiquons pas une faveur, nous ne voulons pas jouer les victimes et encore moins profiter de la révolution tunisienne et des perturbations actuelles au sein de notre pays pour en tirer bénéfice. Notre objectif est commun: nous voulons contribuer à la construction d'une meilleure Tunisie. Mais la question qui se pose est: aurons-nous vraiment cette chance-là? C'est pour cela que depuis le mardi 18 avril 2011 nous nous sommes mis en grève, une grève qui durera le temps qu'il faudra! Cette situation ne nous est point favorable. Mais comme nous sommes habitués aux sacrifices et que rien ne nous est garanti concernant notre avenir, nous sommes prêts à tout.
Nos demandes sont claires: 1/ La réintégration du «concours commun polytechniques» parmi les autres concours français à passer. 2/ L'obtention systématique de bourses pour les étudiants ayant obtenu des écoles du CCP ainsi que des autres concours. 3/ L'amélioration de l'encadrement et de la formation au sein de l'Ipest. «Notre avenir est un brouillard, notre présent est un enfer. Tout cela parce que notre passé fut un succès, on nous demande de tout sacrifier, de tout donner et nous en sommes prêts. Mais on n'arrête pas de nous décourager».