La grogne monte chaque jour d'un cran dans les couloirs et bureaux du Ministère des Affaires Etrangères. Le climat semble au bord de l'explosion. En effet, au grand dam des diplomates concernés, la liste des chefs de postes diplomatiques et consulaires n'est pas encore annoncée. Retard qui constitue une première dans les annales du ministère. De mémoire de diplomates, jamais le “mouvement diplomatique” n'a accusé de tels atermoiements et marchandages. Même sous la dictature déchue, on mettait un peu la forme, du moins en matière de timing et de calendrier. Otage de la Troïka, chaque camp négociant sa propre part du butin, la liste en question moisit encore sur les bureaux présidentiels, entre les griffes partisanes et sous le règne de l'opacité. Pourquoi les diplomates tunisiens grognent-ils ? Tout simplement parce qu'ils n'ont pas été en mesure d'assurer la scolarisation de leurs enfants dans les pays d'affectation, contraints à rater les échéances d'inscription. Dès lors que personne ne sait pas encore où il sera envoyé, aucune inscription aux écoles étrangères n'est possible d'autant plus que la saison scolaire est d'ores et déjà entamée dans la majorité des pays. Situation qui acculera les chefs de postes diplomatiques et consulaires qui seront désignés (quand ?), et à défaut de pouvoir inscrire à temps leurs enfants à l'étranger, à partir seuls, sans leurs familles, devant forcément rester à Tunis. Situation dommageable, parfois traumatisante, pour tous les membres de la famille concernée, notamment les enfants. Les diplomates pestent que cet aspect fondamental dans l'équilibre familial et dans la performance professionnelle n'ait pas été pris en ligne de compte, bien qu'en haut lieu l'attention a été attirée à ce sujet à diverses reprises et depuis des mois. Apparemment, la Troïka fait peu de cas de ces considérations d'ordre familial et social. Sur un autre plan, les diplomates n'ont aucune idée sur le compromis dégagé ou à dégager au sein de la Troïka au sujet du taux de répartition des postes diplomatiques ou consulaires vacants entre “désignations politiques” (en dehors des diplomates de carrière) et “désignations professionnelles ” (réservées exclusivement au personnel diplomatique exerçant au MAE). Nombreux chiffres ont été avancés ci et là, 10%, 15%, 30% ou 40% ?! En outre, et quel que soit le taux convenu, personne ne sait encore quels sont exactement les postes (quels pays) que la Troïka se réserve. Pour nombre de diplomates tunisiens, on n'est pas encore sorti de l'auberge. Contrairement aux attentes post-révolution, le système de désignation de chefs de poste diplomatique ou consulaire reste encore coincé dans les méandres partisans. Sous le régime déchu, la désignation d'ambassadeurs obéissait à des critères de complaisance, de clientélisme et d'obédience, la compétence, le profil et la qualité professionnelle en étant écartés. En ce moment, la même logique semble prévaloir encore. Ce manque de transparence et de certitude envenime davantage le climat au sein du Ministère. Les diplomates concernés craignent pour leur carrière et appréhendent que ledit pourcentage de désignations politiques soit plus élevé qu'ils ne redoutent. Pour certains, le retard insolite et non moins préjudiciable pris dans l'annonce des désignations, qui déjà nourrit cette crainte et pervertit l'ambiance, montre bien que la guerre bat encore son plein au sein de la Troïka et que l'annonce n'en sera que reportée encore plus. Les diplomates tunisiens refusent farouchement que leur carrière soit au centre d'un bras de fer politique et partisan. Ils ont toujours appelé à la neutralité de leurs fonctions et à la dépolitisation de la diplomatie tunisienne.