Au départ, pour bien planter le décor, une citation de Charles Maurice De Talleyrand : » Là où tant d'hommes ont échoué, une femme peut réussir« . En Tunisie, funeste héritage de la culture française certainement, érigé en sport national, on adore tailler en pièces celui qui réussit, et encore plus, s'il s'agit d'une femme. Une femelle en tête d'affiche, sur le podium, est rapidement arrachée de son socle victorieux à coups tordus et bas. En revanche, on aime bien les challengers, les outsiders, les éternels deuxièmes et les seconds couteaux. En Tunisie, le succès est un chemin de croix, une procession solitaire, une marche semée d'embûches. Même au collège, le premier de la classe est un adversaire et non un camarade, on le regarde de travers, on le flingue dans le dos, et à défaut d'autres pistes de lynchage, on lui fait un procès d'intentions, on se moque de son aspect physique, de son apparence. Il faut abattre la « bête » coûte que coûte, quitte à puiser dans les caniveaux de la diffamation et de l'insulte. On a bien voulu lotir Amel Karboul à cette sordide enseigne. Elle a deux grands défauts, deux chapes de plomb, la réussite professionnelle et le statut de femme. Les ailes ainsi lestées, elle ne pouvait fuir ni le prisme sexiste ni la cabale contre le succès. On a disséqué, à la loupe, son passé pour lui trouver un point noir et quand bien même on ne parvient pas à en choper un, n'importe quelle épisode de sa vie antérieure est un prétexte pour la descendre. L'objectif n'étant pas de connaitre et rendre public le parcours de la nouvelle ministre mais de saisir au vol le moindre détail, plus ou moins croustillant, pour en faire tout un foin et mettre en branle toute une campagne de dénigrement. Amel Karboul a-t-elle traficoté avec l'entité sioniste ou a-t-elle visité Israël dans le cadre d'un programme onusien au profit de jeunes palestiniens ? L'intéressée s'était défendue de la première version l'accusant de collaboration, braquant toute son explication sur la seconde version. Nul doute que s'il était établi, preuves à l'appui, que la nouvelle ministre avait traité des affaires avec l'entité sioniste et en avait tiré quelques intérêts personnels, elle serait vouée, à juste titre, aux pires gémonies et même aux vindictes publiques. Pour les tunisiens, du moins la massive majorité, toute compromission avec l'entité sioniste de quelque nature que ce soit, est perçue comme une trahison, un poignard au dos. Mais, au grand dam des détracteurs d'Amel Karboul, il s'est avéré que ce n'était pas le cas et que leurs rafales ne se sont avérées que des pétards mouillés. On a joué la confusion rien que pour tirer à bout portant sur la dame, sans prendre la peine de vérifier les faits et de séparer le bon grain de l'ivraie. D'ailleurs, pourquoi on a voulu remettre en cause son argumentaire ? Bien sûr, la femme est de la semence du diable « zeriâat bliss », donc menteuse par nature et par définition, elle coupable par essence, de par sa naissance, pourquoi vérifier ?! Selon ses affirmations, elle était aux territoires occupés pour venir en aide aux jeunes palestiniens. On en a fait un tollé de tous les diables. Pourtant quand une délégation ministérielle tunisienne, avec Rafik Boucheleka en chef de file, était allée aux mêmes territoires occupés, en soutien à la cause palestinienne, personne n'a remue ne serait-ce un sourcil. Deux poids, deux mesures, diraient certains ! Brahim Gassas, membre de l'ANC, fidèle à son image de bouffon public et d'amuseur de la galerie, s'est donné en spectacle, spectacle loufoque et de mauvaise facture d'ailleurs, dans une hystérie d'invectives, dans un langage indigne d'un élu du peuple et de l'enceinte républicaine où il a fait son show, pour tenter de mettre en charpie la nouvelle ministre. Il s'est ridiculisé là où il croyait ridiculiser. Il est monté si haut sur ses faux créneaux pour tomber si bas et étaler, dans un vacarme d'acrobaties, dans une diarrhée verbale, toute l'étendue de son faux talent. Encore une fois, il sied de citer Charles Maurice De Talleyrand, lequel assenait » Il y a trois sortes de savoir: le savoir proprement dit, le savoir-faire et le savoir-vivre; les deux derniers dispensent assez bien du premier « . Malheureusement, Brahim Gassas, élu à l'ANC dans un concours de circonstances, produit d'un accident de l'histoire moderne tunisienne, n'en a aucun. Il a la farce pour unique fonds de commerce et l'irrespect pour seul cheval de bataille. Que dire du mouvement Ennahdha, qui a demandé le remplacement illico presto de la nouvelle ministre ? Voilà un parti qui fait bloc pour rejeter toute idée d'insérer dans la Constitution une clause criminalisant la normalisation avec l'entité sioniste mais, en même temps, n'éprouve aucun scrupule à appeler à sanctionner une femme et à la déloger de son poste ministériel pour avoir assisté des jeunes palestiniens. Le paradoxe est tout aussi saisissant qu'écœurant. Le coup de « sionisme » étant un coup d'épée dans l'eau, qu'à cela ne tienne ! On change le fusil d'épaule, on dégaine vers d'autres cibles. Pourquoi pas ne pas tirer sur son style vestimentaire, l'essentiel étant de cartonner et de trouer la peau d'Amel Karboul, cette « ispesse di conasse » (expression chère aux guignols) qui vient rouler sa mécanique et narguer le bon peuple de sa science, qu'elle aille au diable ! On l'attend au tournant, dès qu'elle bouge un doigt ou une lèvre ou un cil, on mitraille. Bien fait pour sa gueule. On ne compte pas lâcher le morceau de sitôt, on revient à la charge au moindre mouvement, à la plus simple apparition publique. Qu'elle se tienne à carreau ! « Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait encore une fois, à juste titre, Charles Maurice De Talleyrand. Maintenant, que celui qui a une pierre à la main qu'il la jette, à la figure de préférence, celui qui en écume encore qu'il aille boire à la mer, Amel Karboul, en femme fière et digne, à l'image de la femme tunisienne, en fidèle représentante de celle-ci, a eu la lucidité de claquer sa démission au nez de son chef de gouvernement alors qu'elle n'a pas encore ouvert un orphelin dossier. Quand on sait qu'une autre ministre, tout aussi femme, dont le nom est tu ici juste par charité, était restée agrippée à son fauteuil malgré l'avalanche de diatribes, d'attaques et de pompes, on comprend mieux le bois duquel se chauffe Amel Karboul, on saisit certainement plus sa fibre, sa personnalité et sa gradeur d'esprit, de cœur et d'âme. N'est pas femme digne qui veut ! C'est une culture, un ordre de valeurs, et non un sac à main dont on change au gré des contingences et qu'on assortit avec sa tunique du jour. En conclusion, il n'est pas inapproprié de dire bravo à Mehdi Jomaa d'avoir cru et protégé sa ministre. Quant aux vautours de la désinformation, les cavaliers de la rumeur, les gardiens de la misogynie et autres ennemis de la réussite, ils peuvent se mettre le doigt dans l'œil jusqu'au coude ou se cogner la tête sur le mur de leurs insanités ou....... le mur des lamentations. Au choix !