Depuis les événements de janvier 2011, la situation économique et sociale de la Tunisie est fragilisée par la survenance de grèves successives n'épargnant aucun secteur de l'économie. Les années 2012 et 2013 ont vu ainsi le nombre de grèves augmenter de près de 70% par rapport aux années passées. A la fois, ces contestations révèlent le climat difficile de la transition politique que connaît le pays, mais également l'appropriation du droit de grève par les salariés qui ne pouvaient y recourir dans les faits, faute d'instrumentalisation des syndicats sous l'ancien pouvoir. Pour autant, la législation en la matière n'a pas connu d'évolution depuis ces événements. Le droit de grève, de nouveau consacré par la nouvelle constitution est encadré par le code du travail dans le but de préserver les intérêts des employés et des employeurs. En effet, le droit de grève s'il est reconnu constitutionnellement n'est pas absolu. En ce sens que son utilisation peut être abusive s'il ne respecte pas les conditions posées par la loi. Les événements récents nous invitent à nous interroger sur la légalité des grèves, le respect des conditions posées par la loi, et les conséquences que peuvent en tirer les parties lésées. La grève, dont on emprunte la définition du droit français, comme étant la cessation concertée du travail dans le but de protéger les intérêts professionnels connaît en droit tunisien une réglementation fondée sur le règlement des conflits collectifs par voie de négociation. Le code de travail pour le secteur privé pose ainsi des conditions de légalité de la grève ou lock out – fermeture d'une entreprise pour répondre à une menace de grève ; ayant pour but de permettre la résolution du conflit collectif au sein d'organes de conciliation. C'est seulement à l'issu de l'échec de ces conciliations que la décision de grève oulock out peut survenir tout en obtenant l'approbation de la centrale syndicale. A défaut, la décision sera entachée d'illégalité, la partie fautive sera passible de sanctions aussi bien civiles que pénales. Les conditions de légalité de la grève ou du lock out : une obligation de règlement des conflits collectifs Le code du travail pose donc les conditions de légalité de la grève ou du lock out aux articles 376 et suivants. Les dispositions mettent à la charge des employés et des employeurs une obligation de règlement des conflits collectifs par voie de négociation, et ce à plusieurs stades. En effet, en cas de survenance d'un conflit entre un employeur et ses travailleurs, ce dernier doit être soumis à la commission consultative de l'entreprise. Si le conflit n'a pas trouvé de consensus entre les parties, il devra alors être soumis au bureau régional de conciliation, ou à défaut à l'inspection régionale du travail. Ces deux organes ont un rôle d'intermédiaire en tentant de présenter une solution au conflit considérant les intérêts de chaque partie. Par ailleurs, la législation admet la légalité de clause compromissoire dans les conventions collectives. A ce titre, si le bureau régional ou l'inspection régionale n'ont pas permis de résoudre le différend ; il incombe aux parties une obligation supplémentaire de résoudre le conflit par le biais d'un arbitrage. A ce stade, la survenance de toute grève ou lock out sera considérée comme illégale. La légalité de la grève à l'issue des tentatives échouées de conciliation n'est admise que si la partie intéressée a respecté la procédure d'envoi d'un préavis de dix jours adressé à l'autre partie, ainsi qu'au bureau régional de conciliation ou à défaut, à l'inspection régionale du travail. Et enfin, il faut que toute décision soit approuvée par la centrale syndicale. Finalement, le système qu'a choisi le droit tunisien en matière de règlement des conflits collectifs est donc basé sur la négociation. Le but étant d'éviter que la grève ou le lock out ne devienne un outil de pression exercée par une partie sur l'autre. En cas d'illégalité, la législation a établi des sanctions servant autant à dissuader le recours à la grève en dehors des cadres définis par le code du travail, qu'à protéger les intérêts de la partie lésée. Les sanctions d'illégalité de la grève ou du lock out : d'importantes sanctions pour protéger la liberté de travail Si la survenance d'une grève ou d'un lock out ne remplit pas les conditions prévues par la législation, elle sera alors entachée d'illégalité et susceptible d'entrainer des sanctions. Le code du travail prévoit que des sanctions autant civiles que pénales peuvent être prises à l'encontre des commettants fautifs. Ces sanctions revêtent une certaine gravité puisque des peines d'emprisonnement sont possibles. Dans un premier temps, la partie ayant violé les dispositions prévues par le code du travail commet une faute susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle et suffisante à rompre le contrat de travail. Ainsi sa participation à une grève, ou au lock out illégal lui fait courir le risque de perdre son contrat de travail et sa rémunération. Mais de plus, la loi prévoit des peines pouvant aller jusqu'à huit mois d'emprisonnement et cinq cents dinars d'amende. Il est à préciser que ces peines seront doublées en cas de récidive. Les actions réprimandées sont la participation ou la poursuite de la grève ou du lock out illégal et l'occupation des lieux de travail durant ces événements. De plus, si des actes de violence ont été commis à l'occasion de ces événements dans le but d'imposer la grève à d'autres employés, les fautifs seront susceptibles d'être condamnés à trois ans d'emprisonnement ferme et trois milles dinars d'amende. Par ailleurs, le code du travail prévoit une protection des biens de l'entreprise en cas d'utilisation ou de détérioration des équipements dans le but de perturber son activité, ou en cas d'atteinte à l'ordre public. Dans ce cas, la peine encourue est aggravée. L'article 137 du code pénal prévoit en effet que de tels agissements sont passibles de cinq ans d'emprisonnement ferme et de mille dinars d'amende. Pour autant et malgré la volonté de limiter la survenance des grèves par la mise en place de conditions de négociation des conflits collectifs, on ne peut que constater que le nombre de contestation a explosé ces trois dernières années. L'utilisation du droit de grève devient abusive tant elle porte atteinte aux intérêts de l'économie du pays. Malgré tout, ces grèves attestent tout du moins des conditions sociales difficiles pour un grand nombre de salariés. Mais elles prouvent également que les mécanismes du dialogue social doivent être améliorés – d'autant lorsque l'on sait que l'UGTT – principal syndicat du pays, jouit d'une importante influence. En somme, l'utilisation excessive de ce droit ne sert pas aux intérêts ni des employés, ni des employeurs et par conséquent nuit à l'économie de La Tunisie toute entière. Et malgré le soulagement qu'on vit actuellement avec le gouvernement Mehdi Jemaa, il est à souligner que l'utilisation excessive du droit de grève, constitue une entrave majeure à l'exécution et au respect de la feuille de route.