La grève, comme instrument de pression professionnelle et de revendication sociale, est un droit fondamental constitutionnel, donc un principe de base qui n'est pas négociable sur le fond. En revanche, c'est sur sa forme que la controverse se nourrit. Le droit de grève n'est pas une fin en soi mais un moyen, il s'agit de forcer le compromis et non d'accentuer la fracture. Il exprime un rapport de forces, un exercice de bras de fer pour faire céder l'employeur (public ou privé). Il n'a pas forcement un caractère économique ou financier, les conditions de travail, le cadre juridique et l'environnement social constituent également, entre autres, des motifs de grève. Quand l'Etat est pointé comme adversaire, l'enjeu est plus critique car il y a risque de rupture du service public, au détriment de la population, en totalité ou en partie, soit une partie tierce qui subit de plein fouet le conflit sans qu'elle n'en soit de quelque façon impliquée dans ses causes. Et c'est là où le droit de grève est vulnérable dans la mesure où l'opinion publique nationale risque de se retourner contre la centrale syndicale et le corps de métier en question. Mettre en otage tout un secteur vital au pays au nom de ce droit n'est pas compatible avec l'intérêt général et la paix sociale. La grève c'est aussi une question de timing, de cohérence et de conformité aux lois. Au même titre, le droit au travail et le droit à l'éducation sont tout aussi consacrés par la Constitution. La guerre de tranchées menée actuellement, vaille que vaille, entre l'UGTT et l'Etat, par acteurs interposés, à savoir le syndicat de l'enseignement secondaire et le ministère de l'éducation, s'apparente beaucoup plus à un dialogue de sourds qu'à un processus de négociation. Les deux protagonistes utilisent tous les coups pour faire triompher leurs causes et envahissent les plateaux TV, les chaines radio et les organes de presse écrite pour faire valoir leurs arguments. Le tunisien moyen ne sait plus à quel saint se vouer. La grogne monte dans l'opinion publique, pour qui, les grèves à répétition et les reports des examens ont dépassé le seuil tolérable. Droit dans ses bottes, le syndicat multiplie les menaces et lève la barre des actions de protestation. Le nouveau ministre, qui n'a pas eu le temps de bien éplucher ses dossiers, se trouve empêtré dans un engrenage où sa marge de manœuvre et sa connaissance des dessous et des enjeux sont une peau de chagrin. Lui aussi semble vouloir aller au front alors que les armes lui manquent. Jusqu'ici les voix s'élèvent, haut et fort, revendiquant des valorisations en termes d'émolument et d'indemnité, c'est leur droit légitime, à charge de gagner la bataille dans ce contexte national plutôt hostile. On n'a pas entendu des envolées autant enflammées sur l'amélioration des conditions d'enseignement, la restauration de l'état des écoles, la mise à niveau du corps enseignant, la réforme du système éducatif. Bref, la restructuration en fond en comble de tout le système. Dans un Etat au bord de la ruine, les priorités ne peuvent pas forcément coïncider. Il ne s'agit pas ici de contester le droit de grève, loin s'en faut, c'est la question de timing qui s'impose d'elle-même. Un autre point : Cette épreuve de force entre l'UGTT et l'Etat ne risque-t-elle pas de remettre en cause le contrat social, accord signé en Janvier 2013 à l'ANC par l'Etat, l'UGTT et l'UTICA, et présenté comme « aboutissement heureux et unique en son genre au Sud de la Méditerranée » et d'enterrer le Dialogue National, présenté, en son temps, comme instrument révolutionnaire de concertation politique et exception typiquement tunisienne ?! En tout état de cause, la violence exercée, de part et d'autre, ces derniers temps laissera immanquablement des séquelles et des stigmates dont pâtiront toutes les parties prenantes (Etat, syndicat, corps enseignant, infrastructure éducative, élèves, parents). Dans ce cas de figure, toute victoire est une victoire à la Pyrrhus, obtenue, de haute lutte, au prix de terribles pertes. Et c'est la population tunisienne qui est forcément le dindon de la farce Victoire ! Victoire : On a tué l'éducation.