Le document fuité, attribué au Front Populaire, s'il s'avère authentique, outre qu'il défraie la chronique et fait couler un sang d'encre, révèle non seulement un esprit chagrin et un abysse de démagogie mais aussi et surtout des velléités putschistes et des injonctions de poignarder au dos. Imputer l'échec haut et fort à un gouvernement, après à peine quatre mois de sa composition, appeler et ouvrer à son renversement, n'est ni responsable ni honorable. A cet effet, le Front Populaire n'a pas d'arguments mais d'invectives, n'est plus dans l'opposition mais dans la destruction, ne se comporte pas en adversaire politique mais en ennemi idéologique. Dans son approche insurrectionnelle, même la Troïka de sinistre mémoire devient une alliée objective.Désormais, Nida Tounes, avec son programme et son Gouvernement, est le mal à diaboliser. Pire encore : Le Front Populaire éprouve un malin et non moins malsain plaisir à défonce des portes ouvertes, jusqu'à amuser la galerie, en revendiquant la nationalisation de quelques entreprises et secteurs déjà sous la gestion exclusive de l'Etat depuis sa création. Myopie ou populisme ou dérive ?! Voilà bien une attitude pour le moins insondable sinon grotesque. Dans son document tactique interne, le Front Populaire ne suggère point de solutions pour amener le Gouvernement à faire mieux et à s'appuyer sur une force de proposition mais cherche à le décrier, le fragiliser et le contraindre à démissionner. L'objectif étant de lui substituer un Gouvernement, sous sa coupe. Il est clair que le Front Populaire, fidèle à l'image qu'il a donnée après les élections, met Nida Tounes dans sa mire, cherche à l'acculer et le discréditer et n'hésite guère à le mitrailler, vaille que vaille. Les rafales sont légion et le Front Populaire ne s'en cache pas. Il a oublié Chokri Balaid et Mohamed Brahmi pour focaliser toutes ses ADM (Armes de Discréditation Massives) contre Nida Tounes et son pouvoir. Il ne ménage aucun effort, aucun coup bas, aucun croche-pied, pour faire de Nida Tounes un monstre et lui chiper sa base électorale. Premier coup de pique : Hamma Hammami, que tout le monde est absolument convaincu (même les plus maladroits sondages d'opinion) qu'il n'a aucune chance d'être au deuxième tour des élections présidentielles, n'a pas résisté à son ego surdimensionné pour aller de l'avant et accepter d'essuyer un cinglant revers au lieu de négocier et de placer son front au cœur du pouvoir. Le bon vieux Hamma l'a joué perso, trop individualiste pour voir plus loin que son propre intérêt. D'un point de vue politique ou électoral, rien ne justifie son entêtement. Son incapacité à saisir le momentum politique est effarante, même pour ses disciples. Il est dans l'idéologie pure et dure et l'idéologie pure et dure le perdra s'il n'a pas déjà perdu en termes de crédibilité et de marge de manœuvre. Deuxième pique : A la constitution de la nouvelle équipe gouvernementale, où le Front Populaire a brillé délibérément par son absence, absence sciemment voulue et annoncée.Comment peut-on approcher sinon lire cette tournure, plutôt prévisible sans pour autant être admissible pour nombreux sympathisants du FP, voire même de certains observateurs ? Il y a forcément derrière cette défection, programmée, ourdie ou bien imposée, des gravités idéologiques, des contingences politiques, voire même des pesanteurs culturelles. Le pouvoir, d'autant plus venu sur un plateau, ne se refuse pas sauf si de solides motifs, étayés par de non moins forts arguments, sont en mesure d'en expliquer et en justifier le scénario. Il n'est pas question ici de procès d'intention, mais les questions s'imposent d'elles-mêmes: Le FP ne serait-il pas, du moins en partie, responsable de l'entrée d'Ennahdha au Gouvernement? A bien creuser, ne s'agirait-il pas, en dernière analyse, d'une position tactique bien mûrie au service d'un objectif stratégique bien visé ? L'argument selon lequel le format gouvernemental, tel qu'annoncé, est le fruit d'un deal antérieur entre les deux vieux briscards, Beji Caid Essebsi (BCE) et Rached Ghannouchi (RG) ne tient pas beaucoup la route dans la mesure où Ennahdha ne figurait pas dans la première version, dont la composition répondait bien aux deux lignes rouges sur lesquelles le FP exigeait d'obtenir gain de cause : L'éviction d'Ennahdha et l'absence des ministres de Ben Ali. Malgré ce que d'aucuns aient considéré comme des concessions, le FP, droit dans ses bottes, a tout rejeté. Deux principales raisons, corrélées et inter-liées, tirées par déduction, pourraient être avancées pour comprendre cette inflexibilité, la première étant tactique, la deuxième de loin plus stratégique : 1- Approche tactique : A priori, le programme gouvernemental aurait été, par élimination, le seul point de discorde entre NT et le FP, auquel cas Habib Essid n'aurait pas donné satisfaction au FP sur deux volets que ce dernier jugeait non négociables, à savoir le gel des prix et la dette odieuse. Là aussi, il y a deux explications ayant empêché les conditions de compromis d'être réunies : Soit NT n'a pas répondu aux attentes et n'a pas consenti les sacrifices nécessaires pour amener le FPà de meilleurs sentiments. Soit l'intransigeance du FP et son enracinement dans sa culture d'éternel opposant ne l'aient amené à placer la barre plus haute qu'il n'en faut, galvaudant ainsi toute tentative de dégager un consensus. A cette occurrence, il sied de noter que l'histoire politique enseigne que l'on n'avance guère sans se libérer de certains de ses boulets, tout au moins sans assortir le plan de redéploiement d'une dose de pragmatisme, de lucidité, de flexibilité et d'habilité. Dans certaines situations, seul l'homme visionnaire et audacieux est capable d'anticiper et de voir juste, bien et loin. Ce qui n'est pas donné à n'importe qui, encore moins au Front Populaire. A titre illustratif, non exclusif, et pour rester dans une culture de gauche, citons deux exemples bien édifiants : 2- Approche stratégique : Le FP tenait, coûte que coûte, à faire tomber NT dans les bras d'Ennahdha, et ce pour des visées, non seulement idéologiques ou politiques, mais également stratégiques : D'abord, le mariage sera perçu, notamment par la base de NT, contre-nature et à contre-pied de son engagement électoral (vote utile), d'où discrédit et accusation de mépris et de trahison. Ensuite, critiqué, à cet effet, par sa base dont une partie, par réaction revancharde, pourrait être tentée d'aller voir ailleurs, NT risquerait l'érosion, voire l'implosion. Enfin, le FP serait en mesure de récupérer les mécontents et autres désillusionnés, notamment ceux se réclamant de gauche, et de grossir ses propres rangs, en prévision des prochaines échéances électorales. Aucun scénario n'est à écarter, le deuxième en particulier. Autrement dit, le FP a tout misé sur l'écroulement populaire de NT et la dissolution de sa base pour en conquérir les sympathisants, voire même les militants. Voilà pourquoi le FP ne rate aucune occasion pour soumettre NT à ses tirs croisés et ses critiques au vitriol. L'explication tient largement debout. En tout cas, les dissensions et autres mouvements de scission, qui continuent de diviser NT, malgré quelques éclaircis, laisseraient penser que l'agenda occulte du FP est en bonne marche. Le fruit serait-il, à terme, mûr à la cueillette pour autant. Attendons voir !Le FP ferait-il mouche dans ce cadre ? L'avenir le dira. Le cas échéant, c'est de bonne guerre, c'est le revers de la médaille, dans la mesure où tous les coups sont permis en politique, sphère qui ne brille pas par les principes mais rien que par les intérêts qu'elle charrie, des intérêts souvent bassement partisans, sans aucun rapport avec l'intérêt national. En résumé, il n'est pas interdit de conclure que le Front Populaire, avant et après le scrutin d'Octobre 2014, n'a désigné qu'un ennemi, non Ennahdha, non la Troïka, non l'obscur mouvement de Moncef Marzouki, il a même exigé de ses partisans de ne les critiquer qu'uniquement (sic et re-sic) sur leur bilan au pouvoir, mais Nida Tounes, en premier et dernier lieu. Il cherche, par tous les moyens, surtout par une série d'attaques acerbes et bien ciblées, au timing bien choisi, à lui marcher sur le corps pour lui chiper son électorat. A ce titre, le Front Populaire n'est plus un partenaire politique, même siégeant à l'opposition, mais un frère ennemi. Un Front peut-être, Populaire, le doute est permis. Pour certains, plutôt un Affront Populaire !