Les tunisiens, c'est archi connu, sont ce qu'on appelle de « bons vivants ». A la belle saison, ils essaient par tous les moyens de surmonter leurs contraintes aussi bien budgétaires que morales ou toute autre. Ils essaient de vivre le moment tel qu'il vient, ont-ils pris l'habitude de répéter. Il y en a, même, qui emprunte et s'enfonce encore plus dans les dettes, rien que pour ne pas laisser sa famille et ses enfants en manque par rapport aux autres, notamment en rapport avec les balades estivales, des séjours dans les lieux de villégiature, des diners coûteux dans les restaurants qui foisonnent en été, des glaces et des friandises pour les petits et les grands... Et tant pis pour le reste, disent-ils, on verra bien plus tard, le moment venu ! Or le moment est bel et bien venu. La belle saison semblait, cette année, pressée de plier bagages, avec les averses qu'ont connues les différentes régions du pays, et parfois, avec les nuées de moustiques sans précédents, qui ont déferlé sur les zones côtières finissant par avoir raison des plus têtus des vacanciers, qui n'avaient pas fui devant les bancs de méduses et les bourrasques et coups de tonnerre. Et avec le retour des vacances, le tunisien émerge, brusquement, de ses doux rêves de vacancier, pour buter contre la dure réalité de la « reprise » : Il va falloir regarnir le frigo, de même que les rayons de la cuisine en divers produits, comme il va falloir acheter de nouveaux cartables pour les enfants et, surtout, les garnir. Et puis il y a ces satanées factures d'électricité et d'eau qu'on avait oublié de régler avant de partir en vacances et qui semblent nous narguer en s'affichant sur le meuble d'entrée et qui deviennent plus envahissantes et plus criardes à chaque fois qu'on repasse le seuil de la maison. Mais comment vont-ils faire, pour faire face à tout çà ? vont se demander les bonhommes ! Mais pareil que tous les ans, répliqueront les bonnes dames ! Or toutes les autres années, çà n'a jamais été aussi dur et aussi aigu que celle-ci. Ces bonnes dames semblent oublier qu'avant les vacances, déjà, il avait fallu se saigner pour traverser la rude épreuve du Ramadan, et puis, il a fallu faire preuve de beaucoup d'ingéniosité pour « subir » les épreuves des mariages que de trop nombreux membres de la famille ont eu la mauvaise idée d'organiser juste après l'Aïd, sans oublier qu'il a fallu, ensuite, emmener femme et enfants en villégiature, et qu'est ce que çà a pu coûter cher, les vacances cette année, rien qu'en bouffe ! Et ce n'est pas fini ! Le pauvre citoyen qui essaie de surmonter, ou d'ignorer, sa déprime comme il le peut, et qui s'en va en quête des courses de la rentrée, est presqu'immédiatement, assommé par les prix affichés, cette année. Qu'à cela ne tienne ! finit-il par se dire, on va s'arranger en délivrant çà et là, des chèques, et Dieu nous aidera à nous en sortir ! Il faut ce qu'il faut ! se résigne-t-il à se dire. Et c'est là, en dégainant son arme secrète de chéquier, que le pauvre monsieur va se rendre compte, qu'il est bizarrement dégarni, le carnet. Et en vérifiant les souches des chèques qu'il avait signé et délivré auparavant, il en devient malade, car il se rend compte qu'en plus de ce qu'il avait à payer, il y'a les chèques avec les quels il avait réglé les frais de ses vacances et dont les sommes vont commencer à être débités par l'agence. Le bonhomme se résigne à rengainer son chéquier et à rentrer en attendant de trouver, il l'espère, une autre solution miracle, et là, il tombe nez à nez avec un type qui semble le narguer en promenant devant lui une dizaine de moutons, qu'il propose à la vente... Ce n'est pas vrai ! se dit notre bonhomme. Il se rue sur son calendrier, et là, çà l'achève. Oui, pour de bon. L'Aïd EL Kébir c'est pour bientôt. Et il va falloir penser à acheter un mouton, qui vaudra, certainement, cette année, le prix d'une petite cylindrée. Le bonhomme s'en retourne chez lui, les avant-bras pleins de bleus. Il faut dire qu'il n'a pas cessé chemin faisant, de se pincer et de se repincer, espérant émerger comme par miracle, du cauchemar qu'il est en train de vivre. Non rien à faire, ce n'est point un cauchemar. C'est la dure réalité. Il se lance dans sa chambre à coucher et se met à fouiller dans les tiroirs... Il cherche la boite d'antidépresseurs, qu'avait achetée sa bonne dame, quand il fallait lui mettre la pression pour aller en vacances.