Débarquer un gouvernement, issu des urnes, désigné en plein jour, au profit d'un nouveau gouvernement, fruit de compromis et de négociations dans les chambres noires de la république, est-il légitime au regard de la Constitution ? Comment comprendre les tractations, menées tambour battant, sous l'égide de Carthage, auxquelles le peuple est écartée ? Les promoteurs et les acteurs du Projet de Gouvernement d'Union Nationale (PGUN) entendent évincer par la peau des fesses, comme un malpropre, un chef de gouvernement qu'eux-mêmes pourtant ont nommé. A la recherche de l'oiseau rare, l'homme de la situation capable, avec une équipe se voulant de choc, de sortir le pays de son chaos économique et social. Aveu d'échec, sonnette d'alarme et message de détresse. La Tunisie a –t-il vraiment besoin d'un nouveau gouvernement ? Comme si le gouvernement Habib Essid est l'unique responsable de la débâcle, comme si la défaillance se situe au niveau des hommes et qu'à ce titre leur changement s'impose. Pourtant, tout indique qu'il ne s'agit nullement d'un problème de compétence mais de gouvernance dont le modèle actuel a prouvé ses limites. Quelle belle jambe en fera la Tunisie si on change les têtes sans modifier le système. Rien au change, dans la mesure où on se trompe de combat, de cible et d'arme de riposte. On s'évertue à faire croire à une insuffisance de profil là où il y a une faillite de stratégie, de vision et de communication. C'est bien réducteur et non moins louche d'imputer l'échec au gouvernement Habib Essid. Quel garanti que le prochain fera mieux ?! Aucune certitude sauf le vœu pieux et l'espoir en de jours meilleurs. D'ailleurs, quelle en sera la nature ? Coalition gouvernementale ? Gouvernement technocrate ? Changement total ou partiel ? Et si Habib Essid ne démissionne pas, auquel cas quel recours préconiser ? L'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) pourrait être mise à contribution pour débloquer la situation, à travers le vote de confiance, alternative souhaitée par l'intéressé lui-même parait-il. A moins que les deux vieux briscards, les deux détenteurs réels du pouvoir en Tunisie, à savoir Beji Caid Essebsi et Rached Ghannouchi, trouvent la bonne méthode pour le contraindre à démissionner et éviter d'en impliquer directement l'ARP. En attendant la fumée blanche de Carthage annonçant le nom du nouveau chef de gouvernement, censé lui-même composer son équipe, les partis politiques avancent leurs candidats et la presse nationale agite des noms. On décapite déjà Habib Essid dans les couloirs de la république. Le roi est mort, vive le roi ! A la lecture de ce que la presse tunisienne appelle le Pacte de Carthage, nom pompeux pour une telle opération de maigre calibre, signé, le 13 Juillet 2016, au palais présidentiel par les partis politiques et les organisations nationales ayant participé aux négociations sur le PGUN, n'importe quel observateur averti trouve peu à mettre sous la dent. Un texte oiseux, emphatique, pratiquement un long catalogue de professions de foi et de bonnes intentions qui s'apparente beaucoup plus à un programme de campagne électorale qu'un vrai plan d'action gouvernemental. Un ramassis de lignes directrices, d'axes d'orientation sans un mot sur la stratégie ou sur un changement de modèle de gouvernance. Le Pacte de Carthage, où la vision fait défaut et dont le texte bénéficie d'une écrasante majorité parlementaire, à en juger par les partis politiques ayant pris part aux tractations, montre que l'enjeu est plus politicien que national, que les participants accordent plus d'intérêt aux postes ministériels qu'aux choix stratégiques. Le souci de faire avancer ses pions et de gagner des parts au gâteau, et cerise sur le gâteau, la fonction de chef de gouvernement, semblent supplanter l'idée de fixer un cap et de remettre le pays et surtout son appareil socioéconomique sur les rails. Les tunisiens ont-ils besoin d'un dialogue aussi laborieux et d'un Pacte de Carthage pour définir l'ordre de priorités de la Tunisie : Lutte contre le terrorisme, accélérer la croissance économique et sociale, relancer l'emploi, combattre la corruption et la contrebande, renforcer la démocratie et l'Etat.... Se voulant feuille de route, alors qu'il manque de profondeur stratégique, le Pacte de Carthage est transposable à n'importe quel pays puisque les priorités identifiées sont partagées partout dans le monde. Les perspectives d'action restent vagues. Aucune référence sur le financement. Il est bien beau de concevoir des projets mais quid des moyens de mise en œuvre ?! En un mot : C'est au niveau de la gouvernance que le bât blesse et non la compétence. Changer les têtes et maintenir le cadre, n'est qu'un statu-quo. Les mêmes causes donnant les mêmes effets, il n'est pas exclu que, dans quelques mois, on remette ça et on lance un autre processus de négociation pour composer un nouveau gouvernement.