En attendant l'hypothétique fumée blanche filtrant de la tour de Carthage pour annoncer que les négociateurs aient enfin dégagé un compromis sur le prochain chef du gouvernement d'union nationale, le tableau reste obscur et les observateurs rivalisent d'interprétations et d'analyses. Un vrai flou artistique, si un soupçon d'art est possible dans pareil sombre contexte. Les échéances se succèdent sans que le bout du tunnel républicain ne soit franchi. Le consensus contre Habib Essid et son gouvernement est déjà en main, reste l'accord sur le nouveau maitre de la Kasbah, véritable chemin de croix que le nouveau messie de Carthage et ses apôtres de fortune peinent à boucler. Le Pape se démène à se sortir et faire sortir le processus de tractations de l'ornière. Les négociateurs, représentant la fine fleur des formations politiques tunisiennes, l'agenda partisan en bandoulière et le fusil politique à la main, pratiquent une double chasse : Aux sorcières d'abord et aux hommes de la situation ensuite. Dans les deux cas, le gibier se fait encore attendre et désirer ! Le prochain chef de gouvernement et son équipe ne sont pas encore identifiables et l'actuel résident de la Kasbah et son gouvernement résistent encore aux tentatives d'intimidation et aux coups tordus pour les en expulser ! En effet, entretemps, Habib Essid refuse de démissionner et de sortir par la petite porte, évincé par la peau des fesses comme le scénario souhaité et concocté par les nouveaux barons de la scène politique tunisienne. Il n'a pas tort, il est dans son bon droit, ce n'est pas une question de pouvoir mais de dignité. Quand bien même il n'est plus en odeur de sainteté, il a son orgueil le bonhomme ! Après tout, il était arrivé à la Kasbah par les urnes et en vertu des dispositions pertinentes de la Constitution. Se faire imputer les malheurs de la Tunisie et chasser de son poste dans le cadre d'une magouille d'Etat, c'est difficile à encaisser et à digérer pour n'importe qui. D'autant plus qu'il n'est guère certain que son successeur soit meilleur que lui et donne plus de satisfaction que lui. On veut bien déloger Habib Essid pour des raisons bassement politiciennes et partisanes et non pour sauver la Tunisie de son désordre politique, de son chaos économique et de sa précarité sociale. Ecarter Habib Essid est relève avant tout d'un enjeu partisan et non de l'intérêt national. Nida Tounes cherche à se dédouaner de ses égarements post-électoraux et Ennahdha veut saisir l'opportunité pour élargir son emprise sur le pouvoir, les autres membres de la coalition gouvernementale n'ont d'autre alternative que de suivre le mouvement et de tirer leur épingle du jeu. Juste changer pour changer, sans aucune garantie de remonter la pente. L'homme de providence ne court ni les rues ni les couloirs de la république. Intrigue de palais plutôt que quête de performance ou de planche de salut ! Le déficit se situe au niveau de la stratégie et non de la compétence. Et tant que la stratégie continue de faire défaut, la permutation ou la substitution d'hommes n'a aucun sens. Changer de têtes sans rien modifier à la vision et au cap, c'est une décapitation en règle et non une nouvelle trajectoire pour le pays. La presse nationale fait savoir que le vote de confiance, contre Habib Essid et son gouvernement, est prévu le 30 Juillet 2016 à de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Ce recours est-il légitime, légale et constitutionnel ? A priori l'état d'urgence suspend et interdit ce genre de mesure. Et pourtant, le 21 Juillet 2016, la prolongation de l'état d'urgence pour deux mois a été annoncée. C'est la 5ème prolongation de rang depuis sa proclamation le 24 novembre 2015, après l'attaque terroriste contre la garde présidentielle à Tunis. Selon le communiqué de presse, l'état d'urgence est décidée par le Président de la République, Béji Caïd Essebsi, après consultation du chef du gouvernement, celui-ci même qui est honni et voué à la potence, et du Président de l'ARP, qui n'est là que pour donner crédit aux manœuvres de la présidence de la république et non pour se positionner comme haute voix de la population !! Les députés, soi-disant élus et représentants du peuple, n'ont d'yeux que sur les dividendes que leurs partis sont en mesure de tirer. De véritables autruches, la tête enfoncée, jusqu'au cou, dans la sable mouvante de la compétition politicienne et de la course au pouvoir ! A moins qu'il y ait subterfuge échappant à l'entendement du commun des mortels, auquel cas une explication est impérative pour en attester de sa constitutionnalité, l'état d'urgence se poursuivra jusqu'au 22 Septembre 2016. Par conséquent, la procédure de vote de confiance ne peut être lancée que quelques semaines après cette date. Si on tient à se séparer de Habib Essid à ce point pourquoi prolonger l'état d'urgence ?! La question s'impose d'elle-même, mais jusqu'ici, les réponses se font rares. Et le comble c'est que personne ne daigne s'adresser à l'opinion publique et à la petite populace pour expliciter les dessous de cet imbroglio constitutionnel ! De toute évidence, on s'en fiche, les grands manitous ont décidé, les tunisiens n'ont qu'à se clouer le bec et à s'aligner!! Il n'est pas exclu que les fins limiers de Carthage se soient pris à leur propre piège. D'une part, la situation socioéconomique et sécuritaire, actuellement en vigueur en Tunisie, commande de prolonger l'état d'urgence. Et d'autre part, suspendre l'état d'urgence, au motif de contraindre Habib Essid à démissionner, et ce dans le respect de la constitution, ne manquerait pas de nourrir une énième crise politique selon laquelle la suspension en question est motivée par des raisons politiciennes et non sécuritaires comme préconisé à la Constitution. Bras de fer constitutionnel se profilant à l'horizon. Un tollé général à craindre ! Nous autres tunisiens, nous attendons, avec peine et effroi, la fumée blanche de Carthage ! Entretemps, c'est du noir que nous broyons !!