Parler de nouvelle gouvernance, d'état de droit ou de pouvoir de transparence en Arabie Saoudite, même sous le règne du futur roi, serait une insulte à l'intelligence humaine. De qui se moque-t-on ?! Le royaume croule tellement sous le poids de sa tradition politique et de son vieux système gouvernemental, archaïque et anachronique, articulé sur le double pilier familial et religieux, pour penser ne serait-ce une seconde qu'en un tour de main, l'Arabie Saoudite basculerait dans la mouvance démocratique ou que Mohamed Ben Salman serait porteur d'un nouveau projet de gouvernance en Arabie Saoudite !! Donnant écho au même son de cloche, droit dans les bottes de son prince héritier et prochain monarque, Mohammed Aljadaan, ministre des finances, revenant sur les arrestations et autres gels des avoirs opérés, n'a pas manqué l'occasion de brailler que : "le royaume ouvre une nouvelle ère et une politique de transparence, de clarté et de responsabilité". De son avis, s'il en a un, le doute est bien permis, "ces actions décisives préserveront le climat pour les investissements et renforceront la confiance dans l'Etat de droit". Etat de droit ?! Le mot est lâché, aussi prétentieux que vaseux, tel un mensonge de gamin, pris la main dans le sac, le ton aussi faux que le contenu est vide. Les professions de foi, lancées comme des pétards mouillés, par cet obscur Mohammed Aljadaan ne sont que des vues de l'esprit ou des écrans de fumée. Il brasse de l'air. Sauter de l'époque moyenâgeux à l'ère moderne en un éclair, seul un déjanté est capable de l'affirmer !! Nul doute, personne ne peut ôter au prince héritier le mérite d'avoir fait bouger quelques lignes culturelles, longtemps enfouies dans le tabou et l'interdit, comme d'avoir autorisé les femmes saoudiennes à conduire une voiture (certes en Juin 2018 et sous certaines conditions) ou à assister aux compétitions sportives (seulement dans quelques stades ciblés et fixés d'avance) ou d'avoir consenti à ouvrir au public les salles de cinéma (l'entrée et la nature des films rigoureusement régentés et surveillés). En matière socioéconomique, il a mis également son grain de sel en en privatisant certaines entreprises publiques et en réduisant les subventions de l'Etat. Ce qui n'est pas rien dans une monarchie rigoriste, fermée, basée sur l'économie de rente et le transfert social pour prévenir toute contestation contre la main basse familiale sur les richesses nationales, notamment pétrolières. Il s'agit là d'un inédit bouleversement des structures sociales qu'aucun précédent roi, tous coincés dans les pesanteurs de leur culture féodale et de leur inertie, n'a osé déclencher. Ce souffle réformateur, qui a surpris partisans et adversaires, est d'autant moins crédible qu'il s'est accompagné, quelques mois avant la grande purge, d'une révolution de palais, presque un coup d'Etat qui ne dit pas son nom, et d'une vaste chasse aux sorcières.
* En Juin 2017, sur inspiration ou plutôt conspiration de son fils préféré, le roi Salman a changé, par décret royal, l'ordre de succession et destitué son neveu, Mohamed ben Nayef, de son rang de prince héritier désigné ainsi que de son poste de ministre de l'intérieur, pour pouvoir accéder aux souhaits de Mohammed Ben Salman et de mettre le trône à portée de sa main. Le "Conseil d'Allégeance", structure créée en 2006 pour gérer les modalités de succession, notamment la désignation du prince héritier, a entériné la décision du monarque par 31 sur 34 membres.
* En Septembre 2017, la caste des religieux et l'élite intellectuelle, considérées comme nids de dissidents et fiefs de mutins, ont accusé des vagues d'arrestations. Décapiter les faucons de l'aile dure, opposés à sa propension hégémonique, à son élan suintant la modernité, à sa quête de chasser la vieille garde de la monarchie, hommes ou structures et à sa politique extérieure par trop agressive surtout dans la région, lui était un préalable avant de s'ouvrir la voie pour bousculer le système et planter l'étendard de son plan de réformes. Comme si Mohammed Ben Salman a voulu baliser son chemin et arracher "les mauvaises herbes" avant de faire son entrée dans la cour des grands. Ayant mis le roi père, abîmé dans ses 81 ans, sous son influence directe et sous sa main tous les leviers de pouvoir d'ordre aussi bien politique, diplomatique et religieux qu'économique, militaire et social, Mohammed ben Salman est en phase d'éliminer définitivement ses rivaux pour être le nouveau maitre absolu de Riadh. Peut-être que finalement a-t-il utilise sa montée en puissance pour son propre agenda ou que son projet ultime ne consiste pas à introduire, quitte par la force et la menace, un nouveau modèle de gouvernance plus ouvert et plus moderne, mais, en dernière analyse, à ériger un système ultra-centralisé, taillé sur mesure. L'hypothèse n'est pas à écarter.
Après 85 année de sombre gérontocratie et de règne de troisième et quatrième âge, la jeunesse de Mohammed Ben Salman, seulement 32 ans, constitue à la fois une rupture fracassante avec l'histoire récente saoudienne et un atout de premier ordre dans ses mains. Les jeunes saoudiens, la majorité de la population, qui n'ont connu que le système dynastique théocratique, arbitraire et liberticide, et qui appellent de leurs vœux un vrai changement pour respirer un autre air et s'épanouir dans une autre ère, semblent être sensibles au discours de Mohammed Ben Salman et aussi et surtout à sa jeunesse. C'est une fracture politique, sociale et culturelle de grande envergure. Si on admet, dialectiquement, que le prince héritier est un vrai réformateur dans l'âme et devant l'éternel, et s'il veut vraiment donner un fort crédit à son projet et s'inscrire dans une perspective historique, serait-il suffisamment courageux et fort pour changer le nom du pays et ne plus se référer au nom de la famille ?! Voilà le vrai défi.
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