Face aux causes arabes à grand enjeu, l'opinion publique a toujours vomi tout autant ses leaders que leurs discours. Sans surprise, les mêmes mots, ad vitam aeternam, ad nauseam : "condamner», «déplorer", "se préoccuper" horripilent au plus haut point. Il faut dire que nos monarques et autres présidents ont un vocabulaire de circonstances très limité, aucune marge de manœuvre verbale, juste quelques vocables soi-disant acides, croyant suspendre le monde à leur bouche, mais en fait, ils se pendent à leurs mots, puisés dans un creuset de lâcheté et de traitrise. A chaque crise arabe grave, ils croient ou plutôt rivalisent à faire croire qu'ils montent sur leurs grands chevaux, non des pur-sang arabes, mais des tocards, des mulets boiteux et myopes, offrant leur croupe béante et non moins béate à l'adversité, à la postérité et surtout à l'ennemi juré sioniste ! Coupables d'une trahison qui ne dit pas son nom ! Le peuple arabe, en totale rupture avec ses dirigeants, lutte pour exister, pour faire entendre sa voix et crier sa colère dans les rues. Au lendemain de l'annonce de Donald Trump de modifier le statut d'Al Qods et d'en faire la capitale de l'entité sioniste, au mépris de la légalité internationale et en rupture avec la tradition politique américaine sur le sujet, presque tous les dirigeants musulmans, arabes en particulier, ont prononcé du bout des lèvres, les mots désormais consacrés, à savoir "profondément préoccupés". A en croire que les dirigeants en question se sont passé le mot. Réaction d'une scandaleuse timidité, sans commune mesure avec la gravité de la décision tout autant honteuse, illégale et problématique de la Maison Blanche. On aurait dit que nos leaders n'ont fait qu'expédier une formalité. Même la tonalité et le vocabulaire de leur communiqué ont manqué de tranchant, contrastant nettement avec la rue. Laquais de Washington, gardant d'irriter Tel Aviv, le monde arabe a brillé encore une fois, la énième fois, par sa démission, sa fragmentation, sa complaisance sinon sa complicité avec les Etats=Unis et Israël, habitués à fouler au pied le droit international, dans l'impunité et le silence assourdissant de tous. Loti à la même enseigne, reprenant à son compte la tristement célèbre formule "profondément préoccupés", Mohamed VI, le monarque marocain, qui est de surcroit président du "Comité Al Qods", organe relevant de l'Organisation de Coopération Islamique (OCI), a adressé, bien avant la funeste annonce, une lettre soi-disant de mise en garde ou de rappel à l'ordre au fantasque président américain dont le texte, aussi bien sur le fond que sur la forme, est de la même langue bois que celui de ses homologues, notamment arabes. Il a fait part de sa crainte concernant ce cadavre décomposé qu'est le processus de paix et a mis l'accent sur l'importance historique et religieuse de la ville sainte. Une lettre où suintent la lâcheté et la peur de froisser le partenaire yankee. Disant qu'une "Une éventuelle décision de Washington torpillerait le processus de paix, provoquerait une escalade dans la région et aurait un impact négatif sur les perspectives d'un règlement juste et global du conflit israélo-palestinien". Poursuivant dans son langage lénifiant, Mohamed VI a versé dans la tautologie en insistant sur "la nécessité de préserver le statut de la ville Sainte et de respecter les résolutions internationales liées qui stipulent que ce statut doit être tranché lors de négociations sur un règlement final". La réaction tunisienne est taillée dans le même bois. Dans son communiqué, notre ministre des Affaires étrangères a exprimé sa préoccupation. Le mot sacré et consacré " préoccupés" ne peut bien sûr être éludé, sinon le texte manquerait d'impact. Les références à la violation de la légalité internationale, au processus de paix et au soutien à la cause Palestinienne en composent la sauce sans la relever. Une réaction en déphasage total avec la rue tunisienne, complètement hostile à la politique américaine dans la région et à la pratique d'apartheid, de génocide et de colonisation admis dans l'impunité et la complicité internationale, en particulier arabe, par l'entité sioniste. A Tunis, comme dans les capitales arabes, la haine n'a fait que monter d'un cran. La communauté médiatique tunisienne a eu vent d'une information selon laquelle le président de la république aurait convoqué l'ambassadeur américain, mais jusqu'ici rien n'est venu établir la véracité de cette action. La réaction de l'Egypte, prudente et mesurée, s'est limitée à susurrer que la décision américaine "risquait de compliquer la situation", ne surprend pas, compte de tenu de l'accord de paix conclu avec l'entité sioniste et de l'aide militaire américaine annuelle, de l'ordre de 1,3 milliards de dollars, dont Le Caire ne peut se passer, quitte à faire profil bas et à pactiser avec le diable. L'Arabie Saoudite, pourtant pilier régional et chef de file auto=proclamé de la doctrine sunnite, n'a pas dérogé à la position commune. Sa réaction a été tout autant calculée, préférant rester dans les bonnes grâces de Donald Trump. D'autant plus que Riadh, pour des raisons de leadership régional et religieux et dans le souci de faire basculer en sa faveur la guerre froide par procuration avec l'ennemi juré iranien, mise sur la nouvelle administration américaine pour renégocier l'accord sur le nucléaire avec Téhéran. En outre, l'Arabie Saoudite, sous la poigne de Mohamed Ben Salman, prince héritier du trône, n'est pas loin de conclure une alliance avec l'entité sioniste contre l'Iran. Pour la Jordanie, le même langage est de mise. L'accord de paix conclu avec l'entité sioniste, l'aide économique de Washington et la base militaire américaine ont cloué le bec à Amman. Position d'autant plus paradoxale et insondable que la Jordanie est, historiquement et légalement, gardienne et garante des Lieux saints d'Al Qods. Rang que la décision de Donald Trump remet totalement en cause. D'où sa réaction molle pour ne pas perdre ce privilège. La coquille vide qu'est la Ligue des Etats Arabes ne s'est guère distinguée par une position plus audacieuse. Son Secrétaire Général, l'ex ministre égyptien des affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheït, a juste invité les Etats-Unis "à ne pas prendre de mesures qui modifieraient les statuts politique et juridique de la ville sainte". Au moins, l'organisation Hamas a menacé d'une "nouvelle Intifada". La réaction la moins timorée est celle peut-être du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui a estimé que le statut, l'identité et le caractère d'El Qods sont « une ligne rouge. » Il a par conséquent, réagi d'une manière plus virulente en répétant à l'envie : "Jérusalem est notre honneur, Jérusalem est notre cause commune." Il a notamment menacé de rompre les relations diplomatiques de la Turquie avec l'entité sioniste et d'ouvrir une ambassade à Al Qods oriental, accréditée uniquement auprès de l'autorité palestinienne. Finalement, en majorité alliés, voire valets de Washington, les pays arabes ont réagi beaucoup plus pour servir leur intérêt que pour défendre Al Qods. La décision illégale, antagoniste et immorale de l'administration américaine a montré encore une, la énième fois, que le pouvoir, l'ordre et l'élite gouvernementale arabe ne représentent pas leur peuple et agissent à contre sens de la rue arabe. Par sa décision, Donald Trump a certes unifié les dirigeants arabes, mais juste dans leur discours, lisse et amorphe. Il a réussi à creuser leur divergence avec leur peuple et a fragilisé davantage leur audience et leur autorité auprès de leur opinion publique, nationale ou régionale.