Les réseaux sociaux ont fait circuler dernièrement une prétendue lettre de Bourguiba à Ben Ali, un certain 3 mai 2000, à l'occasion de la libération de Mansour Skhiri, un des fidèles du Zaïm et son concitoyen. Le moins que l'on puisse dire à ce propos, c'est que sa véracité et fort douteuse étant donné l'incohérence et les répétitions lourdes qui la caractérisent, comme si l'on voulait traduire l'état mental de Bourguiba, entre la clairvoyance et la confusion, d'une manière montée de toutes pièces. Je ne sais si la lettre voulait atteindre l'image de Ben Ali ou de Bourguiba ; à la manière dont elle se présentait, elle aurait peut-être réussi d'une pierre deux coups. Nous avons voulu avoir plus de renseignements sur les dernières années de Bourguiba et nous avons contacté l'un de ses proches gardiens de sa sécurité, qui a voulu garder l'anonymat. Voici son témoignage : « Tous les anciens détracteurs du Zaïm Habib Bourguiba et certains de ses anciens compagnons réfractaires se mettent à défendre à qui mieux mieux, ne cherchant en fait qu'à profiter de l'occasion et du tuyau pour espérer obtenir une popularité leur faisant souvent défaut. Lui, au contraire, a vécu serein et tranquille dans la Maison du gouverneur qui a été spécialement aménagée à cet effet. Il avait conservé l'essentiel de l'équipe médicale qui le soignait, et presque tous les services dont il disposait : restauration, garde spéciale, équipe de jardinage, accompagnateurs, administration, etc. Ses parents et ses amis proches venaient lui rendre visite sur autorisation et les gouverneurs successifs avaient pour ordre de subvenir à ses besoins propres et à répondre à ces désirs, sauf pour ce qui touchait à la politique ou pouvait y avoir un quelconque effet (C'est sans doute ces mêmes considérations d'ailleurs qui avaient commandé les restrictions prises le jour de son enterrement). » Le témoin précise qu'une fois, la Maison du gouverneur avait nécessité des aménagements et un certain entretien. L'ordre a été donné alors d'exécuter tous ces travaux sans que le Leader soit dérangé d'un iota ou qu'il se rende même compte de ce qui se passait à la maison. Et notre interlocuteur d'ajouter avec le sourire : Vous savez, il n'avait pas une idée précise de la valeur de l'argent et ne le gérait pas même s'il avait toujours de l'argent de poche sur lui. Un jour de l'aïd el-kébir, il avait donné à chacune des personnes à son service cinq dinars pour s'acheter le mouton de l'aïd (le mouton coûtait alors au moins trente fois plus). C'était amusant, mais c'était réconfortant et généreux. Le jour où les Palestiniens ont quitté la Tunisie pour leur pays, avec un projet d'Etat, Bourguiba a demandé : « Où vont-ils ? ». On lui a répondu qu'ils rentraient chez eux. Il a alors fait plusieurs cercles de sa tête dans un geste de regret qui semblait dire : « Que de temps perdu ! »