Il faut reconnaître que les Tunisiens sont désormais engagés dans un semestre décisif de leur Histoire, celui qui va leur permettre d'élire un parlement permanent (« un conseil du peuple » ! Ainsi soit-il !), suite à quoi ils éliront, probablement en deux tours, un président ni temporaire ni provisoire (pourvu qu'il ne cherche pas à devenir éternel !). Virtuellement, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : 1 - La Tunisie est, pour des Anglais, la seule démocratie arabe ! Attendons voir ! Disons plutôt : A la bonne heure ! Pour certains, ce serait la dictature la mieux biaisée, mais ne cédons pas aux commentaires tendancieux. En tout cas, personne ne peut nier l'existence objective de certaines conditions de la démocratie, même s'il y a aussi des données capables de bloquer un cheminement vraiment démocratique. 2 – Il y a encore une liste surchargée de partis politiques correspondant à une liste presque vide de programmes politiques. Des politiciens en maquillage multiforme pour la Dame Présidence que chacun se croit à même de séduire, soit en abusant la masse électorale, soit en contractant des compromis à la mode la plus arriviste et la plus machiavélique. 3 – Il y a également des médias encore ivres d'une liberté subitement acquise, mais ne sachant vraiment quoi en faire pour vraiment s'affirmer en tant que pilier fondamental de la société à venir. 4 – Il y a en plus des instances dites hautes et indépendantes pour conduire à terme et correctement le processus électoral dont l'urgence n'a d'égale que l'appréhension de l'issue incertaine sur laquelle il pourrait malencontreusement déboucher. 5 – Il y a enfin un peuple qui a cru faire une révolution en changeant certaines figures du paysage politique et qui semble perdre toutes ses illusions sous le poids de conditions socio-économiques insupportables, lui donnant l'air d'avoir fait des décennies à reculons dans son Histoire. A y voir de près, de ces cinq éléments censés constituer les nerfs moteurs de la transition démocratique, c'est le cinquième qui est le plus vital, celui-là qu'on appelle le peuple par qui et pour qui se fait toute démocratie. C'est lui donc qui a le pouvoir de faire des quatre premiers des nerfs de vie ou des nerfs de mort. C'est lui qui peut prouver que le plus important n'est pas d'être dit par un tiers « seule démocratie arabe », mais de se prouver à lui-même qu'il est le maître de sa propre démocratie, capable d'en faire un exemple civilisationnel exemplaire et édifiant. C'est lui qui a les moyens, s'il en a la conscience, de montrer aux politiciens de tous bords qu'ils ne sauraient l'abuser par des mots mensongers qui sont traducteurs de leurs propres maux plutôt que de ceux du peuple au nom duquel ils prétendent parler et pour lequel ils prétendent agir. C'est lui, ce peuple, fort de sa conscience citoyenne, qui est à même d'infléchir les médias vers un engagement professionnel aussi soucieux de l'éthique sectorielle que de l'équation difficile qu'il est appelé à équilibrer entre l'exigence financière et la qualité éditoriale. C'est lui enfin qui peut, s'il le veut, faire obstacle à toutes les manigances et à toutes les manipulations électoralistes qui assiègent les instances concernées et parfois les traversent, à leur insu ou franchement et en toute arrogance. On en parle déjà comme d'un mal endémique hérité de l'instance des élections de 2011. Pourvu que l'attitude citoyenne ne soit pas restée la même qu'en 2011. Le pire c'est qu'elle ait peut-être empiré. Pour tout dire, le semestre à venir, tout essentiel qu'il puisse être, s'annonce plus difficile qu'on ne le pense, avec tous les soucis de petit ordre dans lesquels sombrent de plus en plus nos citoyens, surtout ceux d'entre eux dont les voix seront les plus déterminantes lors des prochaines échéances électorales : L'été, ramadhan, l'aïd, la rentrée, le second aïd, à part les accidents de parcours. Il y a sûrement des gens qui se réjouissent déjà de ces conditions et de leur impact sur les élections. Pourvu que la société civile s'en rende compte assez tôt et fasse ce qu'il faut pour ne pas laisser à ces gens-là l'occasion de se réjouir trop tôt d'un succès qui pourrait alors ne pas s'avérer aussi vrai qu'annoncé.