L'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis (Université Tunis El Manar) a organisé, en partenariat avec les associations Brachylogia-Tunisie et CIREB (Coordination internationale des recherches et études brachylogiques, à Paris), le Troisième séminaire des études brachylogiques (SEB-TN3) autour du thème « Rhétorique et brachylogie », et ce les 17 et 18 octobre 2014 au siège de cet institut qu'il conviendrait de prendre pour le berceau de la « Nouvelle brachylogie ». Deux conférences inaugurales ont été programmées à l'ouverture de chaque journée. La première est celle du Professeur Mansour M'henni (Tunisie), l'initiateur et le pilote du projet de la « Nouvelle brachylogie ». Il s'agit pour lui de ressusciter le concept de brachylogie dans le vrai sens qu'il avait chez Socrate, celui l'opposant fondamentalement à la rhétorique et sa stratégie de persuasion dont la visée s'avère être coercitive et de manipulation politique. Dès lors, on retrouve le sens de la conversation et la structure horizontale qui préside à son schéma de l'intercommunication ; retrouvant par là même l'essence de la démocratie et libérant le concept de brachylogie du statut procédural dans lequel la rhétorique et son empire l'avaient confiné pendant plus de deux millénaires. Pour le Pr. M'henni, le concept revisité et ainsi perçu vient à point nommé pour repenser les différents types de discours dans le monde moderne et pour étendre ses applications à toutes les disciplines et à tous les aspects de notre vie. Aussi donne-t-il à sa nouvelle brachylogie deux faces inséparables, « comme les deux pages d'une même feuille », la brachypoétique et la brachylogie générale, la première ayant pour centre d'intérêt le langage et ses différentes manifestations, et la seconde s'occupant des objets et des choses, de la plus petite dimension qu'on puisse imaginer, pour articuler l'analyse de leur fonctionnement et les effets de leur exploitation, en articulation étroite avec les modèles de société, les pensées variées et les techniques inventées qui président aux destinées de la nouvelle humanité. La deuxième conférence est celle du Professeur Patrick Voisin, professeur de chaire dans les écoles préparatoires et directeur exécutif de la CIREB, qui a cherché à montrer comment opère la brachylogie en tant que manière de dire chez Rabelais, montrant ainsi comment l'expression brachylogique, en parfaite adéquation avec la modernité de l'auteur, se distingue chez lui de la rhétorique classique. C'est ce que le conférencier appelle, le passage « du savoir encyclopédique au penser-écrire brachylogique » chez Rabelais. Les autres travaux peuvent être répartis en trois catégories : ceux relevant des sciences du langage ont pu jeter un regard critique sur la pratique rhétorique dans son rapport à la brachylogie. On y mettrait les communications de Abdelhanin Belhaj (Maroc) sur « la trope illocutoire et son rapport au discours brachylogique », de Marc Bonhomme (Suisse) sur « brachylogie et argumentation dans le discours publicitaire », de Zouhour Ben Aziza sur « La ponctuation du discours brachylogique » et de Sabeh Ayadi (Tunisie) sur « l'antonomase du nom propre : entre poétique brachylogique et rhétorique ». La deuxième catégorie serait celle du discours social, traité particulièrement à partir des proverbes et soulignant l'aspect pédagogique qui peut être privilégié par l'approche. C'est notamment le cas de la communication de Madame Houriya Bouarich (Maroc), sans doute aussi celui de Dima Hamdane, du Liban, qui inscrit son interrogation dans le champ, lui aussi relativement récent, de l'écocritique. Faut-il y inscrire aussi la communication de Abderrahim Bensaïd (Maroc) sur le Haïku ? En tout cas, le proverbe et les formules lapidaires ont été examinées du point de vue de leur exploitation littéraire aussi, à la manière du travail sur Kourouma présenté par Parfait Diandué de la Côte d'Ivoire. De ce point de vue, le rapport entre rhétorique et brachylogie a été examiné à partir d'autres textes francophones. Si Catherine Gravet de Belgique a essayé de voir si la poétique brachylogique ne constitue pas une spécificité de la littérature francophone belge, Martine Renouprez (Belge en Espagne) s'est concentrée sur l'œuvre de Claire Lejeune, du point de vue de « la figure qui donne à penser », figure de pensée, devrait-on entendre ? La littérature maghrébine de langue française aussi a eu sa part du lot grâce à la communication de Sanae Ghouati (Maroc) qui a interrogé « la rhétorique de l'ellipse » chez Khatibi, et la communication de Monia Kallel (Tunisie) qui a examiné « la tentation brachylogique et la mise en procès de la rhétorique chez Emna Belhaj Yahia ». Quant à Mustapha Trabelsi, il a travaillé sur l'écrivain roumain de langues roumaine et française, Cioran pour se demander si la forme brève chez cet auteur est de l'ordre de la rhétorique ou de celui de la poétique brachylogique. De son côté, la littérature française, et dans la perspective ouverte par la conférence de Patrick Voisin, a eu droit à des analyses allant de Marguerite de Navarre chez qui Khawla Charrada (Tunisie) a examiné « la rhétorique de la nouvelle antibrachylogique », aux philosophes des Lumières chez qui Nizar Ben Saad (Tunisie) a illustré la dominance du discours brachylogique et à Flaubert chez qui Badreddine Ben Henda (Tunisie) a analusé « ces petites phrases qui valent un roman ». La principale conclusion des participants est que la « nouvelle brachylogie » étend son interrogation dans différentes régions du monde et auprès de plusieurs chercheurs de disciplines variées. Les publications en la matière prévues pour bientôt chez les Editions Garnier (Paris) ne manqueront pas de propulser l'intérêt et l'action pour cette nouvelle notion moderne inspirée d'un concept ancien. Le Premier congrès mondial de brachylogie prévu au Maroc au mois d'avril 2015 s'annonce alors comme un rendez-vous de grande envergure et d'importantes perspectives.