On dit souvent que l'arbre ne cache pas la forêt ; mais on ne dit pas assez que la forêt peut camoufler l'effet de l'arbre. Aujourd'hui, la forêt c'est surtout la grande crise de Nidaa Tounes et les tiraillements presque conflictuels dont on sent l'odeur se dégager. Mais l'arbre, ce serait une audience très peu médiatisée, celle faisant état d'une rencontre entre le président de la République Béji Caïd EssebsiI et Mohamed Jgham, président fondateur du parti Al Watan, ce parti qui a fusionné avec Al Moubadara pour donner Al Moubadara Al Watania dont le président est Kamel Morjane, secondé par le même Mohamed Jgham. Dans le vif de la crise nidaïste, le président a reçu Boujomaa Rmili, directeur exécutif du Nidaa, à la fois pour pousser dans le sens de la cohésion et de la concorde, au sein du principal parti politique du pays qui, ne l'oublions pas, a BCE pour parrain, si l'on ne veut pas parler d'un autre statut. Comme un parrain ne doit pas être avare de sage conseil à ses poulains, le rencontre n'étonne guère. Le président a reçu aussi Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, une rencontre dont on ne saurait démêler la dimension de complaisance de la dimension de complicité, surtout après une appréciation présidentielle différemment commentée d'un des principaux poulains du nouveau Rached Ghannouchi (car c'en serait un pour certains), en l'occurrence Zied Ladhari. Cependant, ce dont on n'a pas assez parlé, peut-être pas du tout, n'est-ce pas plutôt la rencontre du président avec Med Jgham ? Cela ne devrait sans doute pas plaire à Kamel Morjane, mais cela est un fait qu'il importe d'examiner dans sa portée la plus significative. Il n'y a aucun doute que le rapport entre BCE et MJ est des plus respectueux et des plus amicaux. On dit même que le président aurait souhaité le retour de Mohamed Jgham à la tête du ministère du Tourisme, au moins pour rassurer les acteurs du secteur. Mais ce dernier se serait excusé, proposant même une doublure qui n'aurait pas été retenue, comme pour lui préciser : « c'est de vous qu'on veut et non de votre protégé. » Il est admis aussi que la communication, et peut-être la confiance, ne sont pas au meilleur de leur effet entre le président et Kamel Morjane, pour les raisons que l'on sait, surtout en matière de gestion de la course à la présidence. Que pourrait signifier alors la rencontre entre BCE et Med Jgham ? Peut-être un signe à l'attention des destouriens dont le fondateur d'Al Watan serait, pour le président de la République, le principal fédérateur possible, en comparaison des parcours des différents leaders de la famille partagée, dans la période de la « post-révolution ». Avec un recoupement qui peut se discuter mais qui n'est pas tout à fait insensé, on pourrait se poser au moins les deux questions suivantes : 1 – Pourquoi cette rencontre sur fond de crise de Nidaa Tounes ? Est-ce une suggestion, aux destouriens, de jouer le rôle qui leur reviendrait de droit (voire de devoir, selon certains) s'ils voulaient se repositionner fort justement et efficacement dans le nouveau paysage politique, et surtout dans le parti qui serait le plus à même de leur fournir une plateforme solide, crédible et appropriée pour un tel objectif ? 2 – Quand on sait le positionnement de Hafedh Caïd Essebsi par rapport aux tensions actuelles qui secouent le Nidaa, en l'occurrence une relative neutralité, quand on sait aussi que, le plus souvent, le fils d'un fieffé destourien a de fortes chances d'être au moins bon destourien, on peut imaginer la compétence, en tout cas la prédisposition supposée, chez Hafedh Caïd Essebsi, à faire figure de nouveau leader de la famille destourienne. Le message semble assez facile à déchiffrer, reste à se demander si Mohamed Jgham l'a reçu tel quel et surtout s'il se sent en mesure de le concrétiser avec la rentabilité politique attendue. C'est sans doute une affaire à suivre, surtout que, faute d'un joueur performant, l'entraîneur n'hésiterait pas à trouver un remplaçant.