La publication du rapport de la Cour des comptes relatif à la campagne présidentielle de 2014 a suscité l'étonnement indigné des commentateurs et des citoyens informés. Ce qu'il révèle sur le déroulement des élections de 2014 est très inquiétant quant à la façon dont certaines élites politiques conçoivent la démocratie et s'y impliquent activement. On croyait que les défaillances de 2011 étaient essentiellement dues à un manque d'expérience en la matière, à une insuffisance des moyens humains et financiers, ainsi qu'à une contrainte de temps imparti à l'opération électorale dans son ensemble. N'empêche que déjà là, on avait relevé des infractions ayant trait à la comptabilité et aux finances de certains partis politiques et, à notre connaissance, jusqu'à ce jour d'aujourd'hui, le CPR n'a pas encore retrouvé le livre de sa comptabilité devant faire état de la balance financière des élections de 2011. Aujourd'hui, il semble encore que ce parti et ceux qui en sont issus, par éclatement interne ou par une nouvelle stratégie de distribution des rôles, ne sont pas lavés de tout de tout soupçon d'irrégularités comptables, malgré les inlassables slogans de transparence et de lutte contre la corruption dont ils font état à chaque pas de leurs campagnes politiques. Il faut reconnaître cependant qu'à ce coup-ci, ceux-là ne sont pas les seuls impliqués. D'autres le seraient plus gravement selon le dernier rapport de la Cour des comptes, en attendant que les noms des plus incriminés soient dévoilés. A ce propos, à moins d'une contrainte juridique majeure, claire consignée, on s'étonne du silence observé sur ces noms de candidats, surtout que c'est un silence qui, par le doute qu'il laisse planer sur la vérité, ne fait qu'envenimer l'ambiance sociale. En attendant assez de lumière sur l'affaire, on est en droit de tirer des conclusions qui, pour être provisoires, n'informent pas moins de l'état d'esprit qui semble présider à l'action politique dans notre pays (comme plusieurs autres d'ailleurs). Il y a d'abord un constat évident, celui des rapports complexes et suspects entre les trois secteurs clés de la dynamique sociétale : le politique, le financier et le médiatique. La célèbre formule : « La presse, le pouvoir et l'argent » est toujours de mise et guère pour le bon fonctionnement des choses qu'on voudrait que l'éthique impose, en tout cas qu'elle présuppose. Ensuite, un autre constat lié au premier, celui de la corruption. Celle-ci semble chercher à nous convaincre qu'elle est inséparable de toute action politique et que les discours qui la condamnent ne font en fait que la confirmer, à la pratique, en couvrant d'éthique son fonctionnement pernicieux. Le pire, c'est qu'on découvre, en période de transition démocratique, que cette corruption est transversale des trois secteurs indiqués, si bien que le citoyen simple ne sait plus à quel saint se vouer. Au résultat, le doute s'en prend aux esprits et aux sentiments et l'on ne s'étonne plus de voir, malheureusement, des sondages publier des chiffres étonnants quant aux pourcentages d'opinions nostalgiques de l'ancien régime, avec sa corruption circonscrite contre une sécurité assurée. En fait, la solution n'est pas dans ces attitudes rétrogrades qui ressembleraient à un autre intégrisme. Elle résiderait plutôt dans une perspicacité éveillée de la conscience citoyenne, faisant que jamais une confiance absolue n'est accordée aux discours des trois pouvoirs en action dans le corps social : le politique, le financier et le médiatique. Il faut rester méfiant devant tous les slogans, surtout ceux qui paraissent par trop moralisateurs. Il faut se parer contre toute rhétorique, car celle-ci ne cherche qu'à nous séduire pour mieux nous dominer. Il faut éviter de se laisser piéger par les artifices superficiels de la démocratie, ceux-là qui avaient conforté les conditions d'établissement de la dictature, pour ne s'accrocher qu'à ses signes authentiques, vérification à l'appui. Pour tout dire, la paix sociale n'est peut-être pas contradictoire de la tension sociale, pour vu que celle-ci ne devienne pas une machine à bloquer le développement et que celle-là ne se transforme pas en un catalyseur de l'abus de pouvoir et de la tentation dictatoriale. Pour cela, encore et toujours, vivement la culture de la conversation !