Dans le défilement des nombreuses dépêches des agences de presse, on ne saurait rester insensible à deux d'entre elles, non distantes l'une de l'autre, dans le temps et dans l'espace. L'une annonce la levée du couvre-feu décrété en Tunisie des suites de « la plus importante contestation sociale depuis la révolution de 2011 », soulignant la pérennité et même l'aggravation du chômage et de la misère. L'autre constate que « la Libye est en train de devenir un nouveau pôle d'attraction pour les jihadistes », le nombre de ces derniers y ayant presque doublé et « le groupe Etat islamique ayant réussi à prendre le contrôle de Syrte, à 450 km à l'est de Tripoli, et ses environs ». Une interprétation de premier degré supposerait le maintien du couvre-feu en Tunisie jusqu'à la neutralisation du danger terroriste qui la menacerait encore du fait de cette concentration jihadiste en Libye ; pourtant, malgré l'apparente contradiction entre ces deux informations, le gouvernement tunisien a bien fait, nous semble-t-il, de lever le couvre-feu pour envoyer un message fort aux citoyens. Celui-ci consiste à faire valoir la logique de la vie contre celle de la mort, la logique de la confiance contre celle de la défiance et de la suspicion, la logique de la paix contre celle de la violence et de la guerre. Si le Président de la République en personne a reconnu que « le climat en Tunisie n'encourage pas à l'investissement », force est de plaider pour une politique de remise du pays en conditions favorables à l'investissement et à la dynamique de la production et des échanges. Reste que cette démarche ne peut pas se réduire aux prérogatives du gouvernement ; elle devrait être une entreprise citoyenne impliquant les personnes, les formations politiques et les composantes de la société civile. Or, sur ce plan, il y a encore beaucoup de chemin à faire et de consciences à éveiller. cela étant, il importe toutefois de ne pas détourner le regard de ce qui se passe en Libye, sous prétexte que la mobilisation interne à la Tunisie lui épargnerait les effets divers, directs et indirects, de la crise libyenne. Si « les Grands » se réunissent à Rome pour disséquer cette crise, à la naissance de laquelle ils sont loin d'être étrangers, pour la discuter, plus du point de vue de leurs intérêts communs que de celui de la « bonne charité chrétienne », c'est qu'il y a anguille sous roche. On le sait, à la tête de ces pays, l'Amérique n'a d'attention que pour les réserves énergétiques et pour son propre positionnement géostratégique. Les autres suivent le chef de file, avec tout de même une inquiétude particulière pour l'Italie. Pour éviter une intervention militaire directe en Libye et ses dérapages pervers, on parle alors d'une ceinture de formation sécuritaire et/ou militaire pour en faire, tour à tour, l'avant-poste et l'arrière-garde de la guerre indirectement conduite contre les forces de l'EI. Pourquoi la Tunisie ? Evidemment pour sa position stratégique, pour ses intérêts de proximité avec la Libye, mais aussi parce que nul gouvernement stable, malgré les tractations au Maroc, ne semble à même de pouvoir s'installer et fonctionner efficacement sur le terrain explosif de cet immense pays, réduit à un vrai enfer au quotidien et perdant quasiment sa configuration étatique. Maintenant, comment la Tunisie va-t-elle négocier ce rôle, dans les limites de sa part de négociation, et comment va-t-elle surtout le faire sans mettre en péril ses premières tentatives de résorber la colère interne et de remettre son économie en état de résurrection ? C'est la grande question ! Et il faudrait s'appliquer à lui trouver, vite, des éléments de réponse appropriés, dans l'esprit de la sagesse qui dit : « Mieux vaut prévenir que guérir ».