Croissance en berne (0%), déficit courant de 6%, balance de paiement en déséquilibre alarmant, baisse notable des réserves en devise (115 milliards DT) et régression du pouvoir d'achat (taux d'inflation avoisinant les 6%)... Aujourd'hui, il est clair que les indicateurs de l'économie tunisienne clignotent en rouge! Sans trop s'attarder sur les raisons, de plus en plus connues par les Tunisiens, il serait plus pertinent et responsable de se pencher sur les solutions concrètes afin d'enrayer tout risque de débandade irréversible! L'enjeu est de taille et l'instant est historique puisqu'il s'agit en fait de garantir, à travers une économie saine, le vrai décollage démocratique de la Tunisie. Tout d'abord au niveau microéconomique, il est important de signaler qu'il faut actionner l'arrêt immédiat de l'hémorragie interne par le biais de mesures urgentes et pertinentes. L'installation d'une cellule de crise au sein du gouvernement et l'arrêt total de tout mouvement de grève ou de sit-in sauvages sont indispensables pour assainir le climat social et rassurer les opérateurs quant à la volonté affichée et opérante du nouveau gouvernement à agir dans le bon sens. La cellule de crise doit s'activer pour se rapprocher du terrain, être à l'écoute des entreprises et des entrepreneurs en difficulté, d'un côté, et des forces syndicales et salariales, de l'autre, identifier les entraves et apporter les premiers remèdes sous forme d'encadrement et de plans de sauvetage à mettre en uvre au plus vite. Ces plans de sauvetage peuvent comporter un volet financier sous forme de subventions d'investissement et d'exploitation, de crédit d'impôt et d'aides au développement. Un deuxième volet consisterait à mettre en uvre des nouvelles règles de gouvernance garantissant une meilleure répartition des pouvoirs et une représentativité des parties prenantes, notamment des salariés, au sein des organes de gouvernance des entreprises, ce qui pourrait résoudre une bonne partie du problème. Le concept de l'administrateur-salarié, les systèmes duals à l'allemande ainsi que l'actionnariat-salarié sont des mesures de gouvernance pertinentes aptes à mieux gérer les conflits d'intérêt et à fiabiliser les processus de création et de répartition de la valeur à travers la consolidation de la coalition des parties prenantes, indispensables pour la bonne marche et le développement de chaque entreprise. Cette réforme de la gouvernance des entreprises, notamment publiques, aura certainement un impact positif à court et long termes, en contribuant à l'amélioration du climat social dans les entreprises et à leur garantir plus de performance et de pérennité. Plus structurellement et au niveau macroéconomique, la réflexion est plus profonde et l'analyse doit prendre en compte un ensemble de paramètres qui rentrent en jeu dans l'optimisation de la décision politique à ce niveau. En effet, aujourd'hui, il peut s'avérer évident qu'une politique de rigueur ou d'austérité serait la solution unique pour «sauver les meubles» et amorcer un nouveau départ. Cette politique, qui prône la hausse de la fiscalité et la baisse des dépenses publiques dans l'objectif de réduire le déficit, se justifierait en ce moment en Tunisie, par l'enregistrement d'un déficit courant en forte hausse et qui a atteint 6%, ainsi que par l'inflation rampante qui nuit au pouvoir d'achat, notamment celui de la classe moyenne, véritable force de frappe de l'économie tunisienne. Notons que dans le cadre de cette politique et afin de maîtriser l'inflation, le gouvernement serait amené à tenter d'encadrer les salaires et d'éviter les mouvements de hausse à ce niveau, ce qui risque de porter les salaires à un niveau trop élevé provoquant une sous-performance des entreprises et impactant in fine la création d'emploi. Les hausses de salaire peuvent également provoquer une hausse générale des prix et ainsi engendrer un cercle vicieux. Le mérite d'une politique de rigueur se situerait essentiellement sur le moyen et long termes, à travers la restauration des comptes publics et de la balance des paiements, favorisant ainsi la confiance dans l'économie, la stabilité du taux de change, et augmentant l'investissement et les flux d'IDE (entrée de capitaux étrangers). À terme, la compétitivité économique est améliorée et, par suite, la quantité d'emplois dans l'économie (en particulier dans le secteur privé) est plus élevée. Mais les questions qui se posent aujourd'hui sont celles qui nous amèneraient à savoir si les Tunisiens sont prêts ou non aux sacrifices du court terme. Accepteront-ils des baisses salariales? Par ailleurs, aujourd'hui, les attentes des opérateurs se concentrent plutôt sur la relance qui doit se faire au plus vite et la reprise des activités qui doit être perceptible dès la fin des élections et l'installation du nouveau gouvernement. Pour autant, devrons-nous adopter plutôt une politique de relance et éviter toute forme d'austérité? En pratique, une politique de relance consiste en un ensemble de mesures de politique économique, qui s'effectue par des dépenses publiques additionnelles et des réductions de certains impôts, décidées par le gouvernement, dans le but de provoquer une «relance économique», autrement dit une augmentation de l'activité économique et une réduction du chômage lors des périodes de faible croissance (ce qui est aujourd'hui le cas en Tunisie) ou de récession. Les politiques de relance s'opèrent par le biais d'un ensemble d'instruments relevant de la politique budgétaire et de la politique monétaire. Ainsi, les politiques de relance sont l'essence même de la mise en pratique de la théorie keynésienne qui se base sur la capacité du gouvernement à relancer efficacement l'économie par des dépenses publiques additionnelles. Ces dépenses permettraient en effet de passer d'un équilibre sous-optimal (faible demande, faible offre, chômage et sous-exploitation du capital, absence de visibilité et manque de confiance induisant des mouvements de panique et de désillusion) à un équilibre plus satisfaisant (plein emploi, demande et offre plus forte, motivation et confiance accrues induisant la reprise des initiatives). Ceci dit, l'efficacité des politiques de relance est à discuter de par les expériences vécues notamment dans certains pays développés qui ont vu leur déficit se creuser, les dettes publiques s'aggraver et la stagflation s'installer! Ce constat nous amène à proposer d'autres alternatives qui pourraient convenir au mieux à la situation actuelle en Tunisie, caractérisée surtout par une croissance économique inférieure à la croissance potentielle. Ainsi, une alternance politique de rigueur-politique de relance ou ce qu'on désigne communément par les politiques de Stop and Go serait une solution pertinente à envisager dans cette conjoncture économique mauvaise! Plus concrètement, le gouvernement actuel doit mener une politique de relance, qui passe par une politique budgétaire expansionniste, autrement dit une politique qui se traduit par une augmentation de ses dépenses publiques. A la moindre embellie ou amélioration de la conjoncture économique, le gouvernement doit alors mener une politique budgétaire plus restrictive en baissant ses dépenses pour éviter de creuser encore plus le déficit. Des rentrées fiscales, fruits de la relance économique réduiront la dette publique et permettront même de relancer l'économie encore une fois en assurant une alternance qui doit être bien huilée et cadencée. Afin de bien réussir cette politique de Stop and Go, encore faut-il se référer au prix Nobel, Milton Friedman, qui met en garde contre les problèmes de délais dans ce genre de politique et qui pourraient les rendre inefficaces notamment si des décalages se font ressentir entre le délai de la prise de la décision et celui de sa mise en uvre pratique. Le nouveau gouvernement est appelé donc à être proactif et réactif et assurer une certaine efficience dans son fonctionnement. Le manque d'homogénéité et de cohérence, caractérisant ce gouvernement, du moins dans sa composition, et les lourdeurs qui peuvent en résulter, constitue-t-il un handicap l'empêchant d'adopter une politique de Stop and Go? -------------- *Président de l'Association tunisienne de gouvernance (ATG), universitaire et administrateur de sociétés