Malgré les potentialités qu'il présente, le secteur de l'artisanat au Kef connaît des difficultés structurelles qui empêchent son essor. Manque de commercialisation, manque d'encadrement, manque de moyens, l'artisanat kéfois est laissé à son sort. Dans l'interview qui suit, Mabrouk El Medouri, délégué régional de l'Office National de l'Artisanat dans cette région, nous explique les lacunes et les difficultés que rencontrent le secteur et les éventuels voie de sortie. WMC : Quelles sont les lacunes qui entravent l'essor du secteur dans la région? Mabrouk El Medoui : Le grand handicap du Kef est qu'il n'est pas une région touristique. Ceci limite considérablement les moyens de commercialiser le produit artisanal, au contraire de ce qui se passe dans les régions côtières. On compte 7 mille artisans dans la région, spécialisés en majorité dans le tissage manuel. La majorité des artisans existants a hérité le métier de leurs familles. Ils l'ont appris sur le tas. Une des lacunes du secteur au Kef est la dispersion géographique du tissu artisanal. Il n'est pas possible de rassembler tous les artisans dans un seul endroit. Ils sont dispersés à travers les 11 délégations que compte le gouvernorat. Il y a aussi un problème d'analphabétisme très répandu entre les artisans. Ceci limite notre intervention en tant que délégation régionale de l'Office Nationale de l'Artisanat. Notre tâche est d'aider les artisans à acquérir de nouveaux styles, de nouvelles méthodes de travail pour performer le produit artisanal et sa commercialisation. Quelles potentialités présentent le secteur artisanal au Kef? Le secteur est prometteur. Il présente une grande capacité d'emploi, près de 10 mille. Mais il a besoin d'un soutien direct et indirect des structures d'encadrement. Les traditions artisanales sont ancrées dans cette région. Il y a beaucoup de matières premières à exploiter. Le Kef renferme des substances utiles comme le marbre et l'argile. Ce qui manque, c'est le financement et la formation des compétences. Il y a un besoin de trouver une locomotive pour sauver le secteur au Kef. Les diplômés en beaux arts et en commerce doivent être encouragés pour investir, par des financements adéquats. A ce niveau, que fait l'ONA pour soutenir les artisans dans la région? La délégation régionale manque considérablement de moyens humains et financiers. Elle ne regroupe que cinq agents, dont un seul cadre (moi-même). Pour les 11 délégations que renferme la région, on a seulement consacré deux agents de terrain et une voiture. La délégation n'a pas aussi une autonomie financière. Elle dépend entièrement de la direction centrale à Tunis qui contrôle toutes les dépenses. Ce qui limite considérablement notre champ d'intervention même au niveau de la logistique du bureau. Que dire alors du soutien des artisans. Les prérogatives de la délégation se limitent à coordonner la participation des artisans à des expositions en Tunisie ou à l'étranger et à étudier les dossiers de crédit pour les présenter ensuite à la Banque tunisienne de solidarité (BTS). Mais cette dernière est très exigeante en termes de garantie. Elle n'encourage pas à l'investissement. Ce qui fait que les jeunes diplômés sont réticents à investir dans le secteur. Y a-t-il une alternative ou une solution pour sauver le secteur? Je pense que la multiplicité des structures présente un problème. Il y a plusieurs intervenants dans le secteur, à savoir l'Office nationale de l'artisanat, la BTS, le Centre d'affaires, l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA) et les associations de développement. Il n'y a pas de coordination entre ces différentes structures. Ceci constitue une entrave à l'investissement. Il faudrait donc un seul vis-à-vis, à savoir l'ONA. Je pense aussi que les artisans doivent assumer la responsabilité de commercialisation de leurs produits. Il ne faut pas attendre que les touristes viennent ici, ou l'intervention des autorités. De notre côté, nous faisons ce que nous pouvons. Nous prenons en charge leur participation à des expositions. D'ailleurs, six artisans participeront prochainement à une exposition à Zaghouan. Je trouve qu'il est important de restructurer l'Office Nationale de l'Artisanat et fixer proprement ses prérogatives. D'ailleurs, je suggère de changer le terme artisanat qui n'attire plus les investisseurs et les diplômés. On devrait plutôt parler de métiers artistiques. Il faut donner un nouveau souffle à ce secteur. Il est perçu comme le refuge des ratés de l'éducation et des femmes illettrées. Il faudra encourager les diplômés du supérieur, les inciter. Le secteur a besoin d'innovation, de créativité. La valeur ajoutée existe dans l'artisanat, il faudra juste la dénicher.