La Tunisie dans le collimateur des grandes puissances asiatiques Par Abou Sarra
Un regard d'ensemble sur les accords de coopération et de partenariat conclus, en 2006, par la Tunisie avec les pays du monde entier, révèle l'intérêt croissant que des partenaires asiatiques comme la Chine, le Japon, l'Inde et la Corée du Sud commencent à accorder à la Tunisie. Sur environ 75 accords de coopération signés, une dizaine ont été conclus avec le japon (5), la chine (2), l'Inde (2) et la Corée du sud (2), un peu plus que ceux conclus avec les pays de l'Union du Maghreb Arabe (10) et moins que ceux signés avec l'Union européenne (31) qui demeure de loin le premier partenaire de la Tunisie. Les responsables et hommes d'affaires chinois, japonais, indiens et sud-coréens sont de plus en plus nombreux à se bousculer aux aéroports tunisiens pour visiter la Tunisie et y prospecter le marché local, soit en tant que simple bourse de projets, soit en tant que marché relais pour accéder à des marchés tiers, particulièrement au marché le plus riche du monde, l'Union européenne. Les projets de coopération retenus dans le cadre de ces accords se distinguent par leur qualité. Tunisiens et asiatiques ont décidé de coopérer dans des créneaux de pointe propres à booster l'investissement, et partant, la croissance et l'emploi des diplômés du supérieur. Il s'agit entre autres des Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), de la biotechnologie (médicale, végétale, informatique et environnementale) et de la Recherche scientifique. Par pays, les accords conclus avec le Japon ont porté sur des projets tendant à développer les ressources humaines, à valoriser les résultats de recherche scientifique en Tunisie, à promouvoir le coaching (accompagnement) des pôles de compétitivité (technopole de Borj Cédria) et à améliorer les conditions de vie dans le monde rural à travers le financement de projets d'alimentation de ruraux en eau potable. Le Japon et la Tunisie ont conclu un accord de coopération triangulaire. A la faveur d'un financement japonais et d'une co-assistance technique tunisienne et japonaise du groupe hospitalier Tokushukai, des projets de formation médicale seront réalisés en Afrique, au Moyen-Orient et en Tunisie. Au plan local, il s'agit surtout de la réalisation d'un hôpital privé conforme aux normes de gestion et d'organisation au sein de Tokushukai. Les arrangements signés avec la Chine favorisent le développement de la coopération dans le domaine de la santé, des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), des sciences et de la technologie en général. Tunis et Pékin ont convenu de réaliser en commun plusieurs projets en la matière, d'échanger expertises, informations, visites de chercheurs et de techniciens et d'intensifier les contacts scientifiques visant à valoriser les résultats de recherche dans les deux pays. Avec l'Inde, les accords conclus mettent l'accent sur le partenariat dans les domaines de l'industrie chimique (création, en Tunisie, d'une joint-venture de production d'engrais chimiques) et la biotechnologie médicale, végétale, environnementale et informatique. La Tunisie souhaite tirer profit de l'expertise indienne en matière de fabrication des médicaments génériques. Des groupes indiens, spécialisés dans la production de ce type de médicaments, sont en négociation avec les autorités sanitaires tunisiennes pour la création de joint-ventures en Tunisie. Les noms de firmes pharmaceutiques comme Rambaxy, Cipla ou Hetero Drugs sont avancés. Enfin, la Corée du Sud, les conventions signées avec ce pays portent sur le développement de la coopération en matière de technologies de l'information et de la communication. Cet intérêt asiatique pour la Tunisie est le résultat d'un constat amer: les stratèges de l'investissement en Europe accordent peu d'importance dans leurs projections au sud de la Méditerranée. Les puissances asiatiques, fortes de la dimension stratégique des réalisations accomplies en partenariat avec la Tunisie, ont toutes les chances de s'imposer sur le site Tunisie, d'autant plus que le partenariat avec ces pays se distingue par sa visibilité, sa qualité et par son effet multiplicateur et durable. Contrairement aux partenaires occidentaux de la Tunisie, soucieux d'accroître leurs échanges commerciaux à effet périssable avec le marché tunisien, les Chinois, tout autant que les Japonais d'ailleurs, ont tendance à opter pour une présence pérenne. Pour ne citer que deux projets : le canal Medjerda, symbole de l'amitié et de la solidarité tuniso-chinoises, est toujours cité au premier rang des réalisations chinoises en Tunisie. Ce canal a aidé la Tunisie à réduire son déficit hydraulique et lui a permis de subvenir aux besoins des villes du Sud en eau potable, à protéger plus de 6.000 hectares d'agrumes du Cap Bon, victimes d'une sécheresse endémique et de créer de nouveaux périmètres irrigués tout le long du canal. Le deuxième méga projet est à l'actif du Japon (deuxième fournisseur d'aide publique au développement (APB) à la Tunisie après la France). Il s'agit du projet du pont Radès-La Goulette qui va améliorer, de manière significative et surtout visible, la circulation entre les banlieues nord et sud de Tunis, tout en conférant à l'ensemble de la zone une dimension esthétique urbaine digne des grandes capitales. Par delà ces données fort révélatrices d'une tendance à la diversification de ses partenaires, la Tunisie a peut-être vu juste en intensifiant la coopération avec ces pays asiatiques appelés, presque fatalement, à devenir, à moyen terme, à la faveur de leurs immenses marchés, les plus grandes puissances économiques du monde.