L'université libre peine à trouver ses marques dans notre pays. Il s'agit pourtant d'un secteur qui bénéficie d'une gamme d'incitations fiscales et financières, susceptibles de favoriser son essor, son implantation et son rayonnement au-delà même de nos frontières nationales. Entreprendre, nous rappelle le Petit Robert, c'est s'aventurer à construire, à convaincre et à séduire. Qu'est-ce qui empêche, dans ce cas là, l'entreprenariat, dans l'enseignement supérieur privé, de percer, de conquérir et d'acquérir ses lettres de noblesse ? Que peut encore faire l'Etat pour un secteur appelé à le décharger et non pas à l'encombrer par ses incessants appels à l'aide ?
A la recherche d'un second souffle
Durant la dernière décennie, les instituts supérieurs privés ont essaimé dans le pays, ce qui a poussé les pouvoirs publics à réglementer, à légiférer dans un domaine hautement stratégique. L'autorité de tutelle, de l'avis des promoteurs, a constamment encouragé les investisseurs, les appelant à persévérer et à améliorer la qualité de leurs services, tout en misant sur des gains à moyen et long termes en raison de la nature d'un projet, échappant, vu sa spécificité culturelle et pédagogique, à la logique marchande du bénéfice immédiat. «Le manque d'effectifs estudiantins demeure notre principale préoccupation», nous dit M. Khaldoun Ben Taârit, président de l'Université Tunis-Carthage et membre de la chambre nationale de l'Enseignement privé.
Notre interlocuteur insiste sur l'obligation morale de l'Etat de promouvoir un secteur encore embryonnaire et dont les promoteurs, courageux et créatifs, consumés par cette flamme innovatrice, se présentent en pionniers dans un domaine où on réussit non pas grâce mais en dépit d'un milieu, réputé peu rémunérateur, réfractaire au capital-risque.
«L'Etat consacre des sommes colossales pour la promotion du tourisme à l'étranger ; l'enseignement supérieur privé mérite aussi de telles faveurs, car il peut drainer des devises au pays s'il est suffisamment soutenu et encadré par les pouvoirs publics», insiste M. Khaldoun, qui nous rappelle que la durée de séjour de l'étudiant étranger dépasse de loin celle du touriste.
Sans clientèle, affirment certains professeurs tentés d'investir dans ce nouveau créneau, l'université libre ne fera pas long feu : «l'étudiant tunisien coûte actuellement à l'Etat deux mille dinars sans prendre en compte les infrastructures et les équipements. En orientant une partie des nouveaux bacheliers vers le privé, l'autorité de tutelle améliore les conditions d'accueil des institutions publiques, permet aux structures de l'enseignement libre de bénéficier d'une subvention de près de 1000 dinars par étudiant, réalisant ainsi une performance pédagogique et financière», estime notre vis-à-vis, qui met l'accent sur la faiblesse du pouvoir d'achat de certaines familles tunisiennes incapables de supporter les frais d'inscription dans les établissements supérieurs privés.
Les objectifs stratégiques de l'Etat
Les métiers ont été tellement transformés par la mondialisation et l'irruption de l'économie immatérielle que les traditionnelles filières ou sources du savoir sont repensées, recadrées à une vitesse vertigineuse. Le temps de l'Etat providence à vécu. Place à l'initiative, à l'esprit d'entreprise. «Avec bientôt 500 mille étudiants, et plus de 185.000 diplômés sur le marché du travail la communauté nationale fait face à un défi considérable», concède M Hassen Manaï, chargé de mission au cabinet du ministère de l'Enseignement supérieur, qui nous rappelle l'urgence aussi bien pour le public que pour le privé de s'adapter à la nouvelle donne, de s'arrimer à un marché de l'emploi demandeur d'une formation High-tech pluridisciplinaire. L'université libre, insiste notre interlocuteur, dispose, grâce à sa mobilité et à la souplesse de sa démarche, d'atouts majeurs pour répondre aux exigences d'une conjoncture où l'on est appelé à être plus créatifs face à la demande de nouveaux métiers, créateurs d'emplois, générateurs de croissance. En décidant, depuis quelques années, d'inscrire les instituts supérieurs privés dans les guides d'orientation, l'autorité de tutelle entendait ainsi raffermir les liens de partenariat avec un secteur appelé à épauler l'Etat dans son gigantesque effort d'assurer à l'étudiant tunisien un enseignement de qualité en dépit du nombre croissant des nouveaux bacheliers, avides de réussite et de reconnaissance sociale.
«Les pouvoirs publics traitent les promoteurs des universités libres en partenaires fiables, crédibles, capables d'arracher une part importante du marché mondial de l'enseignement supérieur privé, estimé à 100 milliards de dollars», répète à l'envi M Hassen Manaï qui rappelle à tous ceux qui sont tentés par ce créneau d'éviter les errements de leurs collègues du secondaire en assainissant le secteur et en optant pour des stratégies à long terme.
Avec la panoplie de mesures incitatives (défiscalisation, prime à l'investissement ), les universités privées sont appelées à redoubler d'efforts, à diversifier leurs sources de financement en mettant l'accent sur les projets de partenariat en vogue dans les pays anglo-saxons, traditionnellement enclins au libre-échange et à la collaboration intra-universitaire, loin des pesanteurs bureaucratiques des pays latins.
La Tunisie, carrefour entre l'Europe, l'Afrique et l'Orient, dispose d'un atout géographique majeur pour attirer des étudiants étrangers et fructifier un marché promoteur sur lequel les aléas climatiques, politiques ou internationaux n'ont aucune prise. Imededdine Boulaâba