Telle Pénélope tissant sa toile, Leila Khaïat ne s'arrête jamais ; pour elle, l'édification d'un ouvrage exige un travail de longue haleine qui se fait dans le temps avec de la patience et de la persévérance. Intégrer la femme dans la dynamique politique et économique, réaliser la parité relève de la responsabilité de tous et de chacun : «Il faut reconnaître que nous évoluons dans un sens hautement positif. Etre une femme chef d'entreprise devient de plus en plus banal et je pense que nous arriverons à un moment où nous n'aurons plus besoin d'une structure féminine au sein de la centrale patronale. Nous aurions réalisé nos objectifs de parité sans luttes insensées ou combats inconvenants. Nos réalisations consacreront la maturité d'une nation, l'ouverture de la société et de la classe économique en Tunisie et la reconnaissance de la femme en tant qu'élément déterminant pour l'expansion du pays». Et pourtant, rien ne prédestinait Leila Kaïat à une carrière de businesswoman, si ce n'est un des ces tours que le destin nous réserve quand on s'y attend le moins : «Passer des lettres aux chiffres n'est pas chose facile, j'ai dû le faire lorsque j'ai pris en charge l'entreprise familiale». Sénèque disait "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles". Leila Kaïat a osé, elle n'a pas cédé les reines des affaires familiales, elle s'en est chargée et s'en est bien sortie. Aujourd'hui, elle est président-directeur de Plastiss, un groupe de sociétés industrielles dans le secteur du textile et a sous sa direction près de 125 personnes qu'elle gère avec des gants de velours «Je n'approuve pas la discrimination positive» La femme remplit-elle sa place au sein de la centrale patronale ou y fait-elle du surplace ? «Ca serait injuste de penser que les femmes se trouvent au sein du patronat pour la forme, il y a une volonté sincère et effective de les associer au plus haut niveau de l'UTICA, c'est-à-dire au bureau exécutif et dans les Fédérations et les Unions régionales. Nous avons des responsabilités que nous assumons, la reconnaissance est là, il y a un partenariat réel entre les femmes chefs d'entreprise au pouvoir décisionnel et leurs collègues hommes». Fidèle à elle-même, Mme la sénatrice, modeste, tient à préciser qu'elle ne parle pas uniquement d'elle mais de toutes ses consurs qui bénéficient de cette confiance méritée à l'UTICA, celles qui président des fédérations comme celle des transports, de l'Union régionale de l'Ariana ou encore des femmes membres du bureau exécutif. Et la parité ? Les femmes chefs d'entreprise sont-elles aussi bien représentées que leurs confrères hommes ? Diplomate, Leila Kaïat estime que les femmes sont «dans une excellente trajectoire, la démarche est saine, constructive et encourageante. A chaque fois qu'une compétence se révèle, elle s'impose d'elle-même et a autant de chances d'accéder aux postes de responsabilité que n'importe qui. Nous ne sommes pas pour la discrimination positive. Je ne suis pas d'accord sur ce genre d'approche. Je suis pour celles qui accèdent aux plus hauts postes parce qu'elles le méritent». «Nous pesons quelques centaines de millions de dinars» Parler des success-stories féminines, why not ? C'est bien de parler de des femmes qui réussissent et souligner leurs succès. Ca peut avoir un effet entraînant, un effet de locomotive. Nous lisons très souvent dans les journaux des récits sur des success-stories des hommes. En parler sert de stimulus, ne serait-ce que pour les jeunes». Et il est vrai que dans les médias, les femmes chefs d'entreprise ne sont pas très présentes. Pourtant, «c'est un tissu entrepreneurial qui se développe à très grande vitesse. Les microcrédits profitent dans un pourcentage important aux femmes, autour de 52 à 55% en faveur des jeunes promotrices et pas uniquement dans le secteur artisanal, dans les petites industries également et les services». Au tout début de la création de la Chambre nationale des femmes chefs d'entreprise, les adhérentes étaient moins de 200, aujourd'hui on les compte par milliers, 10.000 tous secteurs confondus. Elle est loin l'époque où les femmes reprenaient les affaires familiales. Aujourd'hui, la plupart des femmes chefs d'entreprise ont été les instigatrices de leurs propres entreprises, elles ont fait des études pour monter leurs sociétés et ont amplement mérité leur statut de femmes entrepreneurs. Pourquoi une chambre de femmes chefs d'entreprise dans une structure patronale ? «Je pense que c'est très important. Le meilleur exemple est celui de l'Organisation mondiale des femmes chefs d'entreprise, dont j'ai été la présidente pendant 8 ans. Cette organisation regroupe autant de femmes en provenance des Etats-Unis, d'Europe, des pays du Nord que des pays émergents. Il y a un réel besoin de la femme chef d'entreprise de s'affirmer, de se frayer une place dans un monde qui a été pendant longtemps un fief masculin. En Tunisie, nous échangeons des idées et des expériences. Cette structure de femmes chefs d'entreprises au sein de l'UTICA, qui en a encouragé la création, nous a permis de mesurer le poids des femmes dans le tissu économique en Tunisie, mine de rien, nous pesons quelques centaines de millions de dinars ». Toujours est-il que le parcours d'une femme dans le milieu des affaires reste semé d'embûches, rien que parce que les mentalités ne changent pas d'un jour à l'autre. En France où est née la FCEM, la femme chef d'entreprise trouve des difficultés rien qu'au niveau de l'accès au crédit, difficultés largement partagées par d'autres femmes de par le monde et à plus forte raisons dans les pays arabo-musulmans. «Parce que si vous essayez de contracter un crédit, la banque exige une garantie réelle qui ne vous appartient pas en réalité, elle est ou bien celle du mari, du père ou du frère. Pour l'accès aux marchés, le démarchage nécessite certains déplacements ou disponibilités auxquels les femmes ne sont pas familiarisées, qu'elles soient du Nord ou du Sud. C'est grâce aux réseaux féminins que les choses sont en train de s'améliorer»... Quant à l'image des femmes chefs d'entreprise, elle n'est pas des plus brillantes. L'entourage n'est pas très encourageant : «Je me rappelle d'un film que je viens de voir sur les femmes entrepreneurs en France. L'image de la femme n'y est pas très positive. Elle est montrée comme une personne arrogante, dure, dénuée de féminité, c'était caricatural. C'est plus facile pour une femme d'être magistrat, médecin, institutrice, professeur. Ca me rappelle un des ouvrages de Montesquieu qui interrogeait dans l'une de ses correspondances un ami : «Comment peut-on être persan ?». En ce qui nous concerne, nous sommes des chefs d'entreprise mais avant tout des femmes». Lire aussi : - Femmes et entrepreneuriat : ce que femme veut, ... - Parcours de femmes, parcours d'exceptions - Paroles de femmes entrepreneures - Faiza Kéfi : «Les femmes, une force dynamique pour le progrès que personne ne pourra arrêter» - Ines Teminmi : «Il est important d'abattre les barrières et de relever les défis» - Tunisiennes et politique : la parité n'est pas pour demain - Aida Bellagaha Gmach : «Le Rocher bleu est un défi. Mon combat est de préserver notre patrimoine» - Raoudha Ben Saber : L'adversité rend plus fort