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L'éclaireur sorti d'un nœud de ténèbres
Publié dans WMC actualités le 05 - 08 - 2009

A le voir dans la rue, on ne peut ne pas se rappeler l'instituteur des années 50 et 60. Cheveux beaucoup plus sel que poivre, lunettes à verres très fins reposant calmement sur une paire d'yeux souvent rieurs et un brin espiègles, toujours les mains chargées (un sac ou couffin pendu à la gauche, un vieux cartable avachi à la droite), et la démarche très calme qu'empruntent les touristes fort curieux et observateurs de tout, il est l'image même de ce père de famille tout aussi respectueux du devoir professionnel que de celui familial, même si beaucoup ignorent que le contenu du sac à la main gauche est généralement destiné aux chatons et aux chiens, rarement ou occasionnellement aux humains. Cette image des anciens maîtres d'école, il la confirme et la conforte sans s'en rendre compte dès qu'il parle entre amis ou en public. Le mot, dans sa bouche, doit être correct, trié entre mille et bien à sa place, ou ne pas sortir du tout. Maniaque (ou malade ?) du verbe, plus que mordu de la langue de Proust, il a l'art bien rare de pouvoir disserter brillamment même quand il devise (la ponctuation étant servie par l'intonation de la voix des grands orateurs), avec cet autre scrupule consistant à bien articuler les syllabes jusqu'à les marteler au besoin. A telle enseigne que, l'écoutant, ceux qui ne le connaissent pas seraient enclins à lui prêter un parcours allant du primaire/secondaire au Carnot, le supérieur à la Sorbonne, et un doctorat dans le cercle restreint des Sartre/Beauvoir. Au reste, ce parcours n'est pas très loin de la réalité. Même si, au départ, son parcours a failli en faire un individu très quelconque, pour ne pas dire inculte. Il ne le sait que trop lui qui, curieusement, en évoquant son enfance aussi désordonnée que douloureuse, en arrive à s'esclaffer allègrement comme qui, longtemps aux prises avec ses ennemies de toujours, eût fini par leur tordre le cou à la débine et à la poisse. Pas comme. C'est un fait. Il a écrabouillé et dilacéré en mille morceaux sa malchance à force de patience, de persévérance, de longanimité. D'ailleurs, sa démarche un peu trop calme trahit chez lui une bien longue endurance. Il est fatigué. Mais d'une fatigue heureuse, si l'on peut dire. Car il aime tout ce qu'il fait. Ou plutôt c'est plus exact il ne fait que ce qu'il aime. Et ce qu'il aime, il l'assume. Jusqu'au bout. Avec même un humanisme à laisser bouche bée…
Un drame à la maison
Début mai 2009. Il est invité un jour à déjeuner dans un restaurant plus ou moins chic. Il vient à peine de passer sa commande que son téléphone sonne. Il décroche : « Oui ?... Quoi ?!... Comment ça ?!... Elle ne peut pas accoucher ?!... Non mais, quoi ?! N'y aurait-il pas de solution ?... Mais oui, tant pis pour l'argent !!... Va donc pour une césarienne… Et tu m'appelles ensuite pour me rassurer… ».
Autour de la table, le malaise s'installe. Son interlocuteur ne sait plus quoi dire. Mais lui, pour ne pas gâcher l'invitation, essaie de paraître serein. En vain. Il est franchement nerveux. Les minutes passent lourdement. Lourdement. Jusqu'au moment, une petite demi-heure plus tard, où le mobile sonne à nouveau. Il décroche : «Et alors ? Hein ?... Oh merci mon Dieu ! Oh ce que je suis content… Mais oui, je rentre très tôt…». Son bonheur est si grand qu'une larme perle à son œil droit. Il la comprime de justesse. De son côté tout aussi rassuré, son interlocuteur risque une question : «Alors, elle va bien Souad ?...». Lui : «Souad ? De qui tu parles ? De ma femme ?!... Non mais, ça ne va pas ? J'ai un fils qui fait plus de 30 ans et tu crois que c'est de ma femme qu'il s'agit ? … Non, c'est ma chatte… La pauvre a failli y aller… Je vais me délester de 200 dinars pour sa césarienne, mais j'en suis très heureux…».
Quand la poisse frappe fort…
Tahar Ayachi ouvre les yeux à La Goulette en 1944. Mais quand, six mois plus tard, il les fixera sur sa mère pour en prendre une image bien nette, celle-ci n'est plus à ses côtés. Très jeune (à peine 16 ans) et avec déjà deux enfants précédents sur les bras, sa maman ne peut vraiment l'élever comme il se doit. Elle reste à La Goulette , mais lui, encore bébé, sera confié à sa grand-mère, la belle Italienne rebaptisée J'nina Bent Abdallah et résidant à la rue Bab Bou Saâdoun, à Tunis. Petite bourgeoise, J'nina dispose de quelques terrains au Cap Bon. Prendre donc en charge un petit bébé ne coûte pas beaucoup. Au contraire, il lui tient compagnie au même titre que deux autres cousins à elle également confiés.
En ce début des années 1940, la Tunisie est comme dans un étau : d'un côté, le protectorat français, de l'autre, la seconde guerre mondiale qui commence à battre son plein. Mohamed Ayachi, le père, quoiqu'à la tête d'un commerce ayant pignon sur rue au Souk du Tissu, dans la Médina , est alors un éternel récalcitrant, un rebelle, un militant entre autres pour l'indépendance du pays. On s'en doute un peu, mais être militant farouche en cette période cruciale ne passe ni inaperçu ni impuni. Il fera donc la prison plusieurs fois. Jusqu'à la fois où il attrape la tuberculose. Les Français n'ont pas la moindre envie d'avoir un jour un mort en prison, il y va de leur image déjà bien foraminée aux yeux de tout le monde. Il n'empêche. La tuberculose va avoir raison de l'état de santé de Mohamed Ayachi qui décède en 1947, alors que le petit Tahar n'a que trois ans. Et comme un malheur s'amuse à toujours se faire accompagner, celui des Ayachi fait appel à deux autres. A La Goulette, et après avoir vécu trois ans aux crochets du Parti qui soutenait très volontiers les familles des militants, la jeune veuve (la mère de Tahar) ne trouve pas mieux que de se remarier, elle dont la beauté est très sollicitée malgré deux enfants à charge. Mais en se remariant, elle perd tout d'un coup les avantages du Parti qui considère que le mari est apte à nourrir les siens, et même si ce deuxième mari n'est qu'un aide menuisier. A Tunis, la belle J'nina ne trouve pas mieux, de son côté, que de rompre complètement avec les siens, Italiens, pour des raisons obscures. Du coup, elle perd les terrains du Cap Bon. Mère et fille sont donc, chacune de son côté, obligées de sortir travailler.
Un enfant très seul
A la rue Bab Bou Saâdoun, et en plus d'être analphabètes, les cousins du petit Tahar ne font pas grand-chose dans leur vie, eux qui se plaisent à vivre à la solde de J'nina. Pourtant, l'un d'eux, comme par acquit de conscience, a un jour un réflexe, quoique tardif, mais salutaire : inscrire le petit Tahar à l'école. Ce dernier a 7 ans déjà. Une année de perdue, en somme. Qu'importe. Tahar se voit ainsi inscrire à l'école de la rue El Qaâdyne, qui est beaucoup plus une association caritative qu'une école. Mais c'est là qu'il fait ses trois premières années primaires. Au bout de cette 3ème année, il attrape la fièvre typhoïde. Le mal va le clouer une année à la maison. Mais c'est comme ça : quand la malchance des pauvres frappe, elle le fait très bien.
Or, avant même d'être inscrit à l'école, Tahar, depuis l'âge de six ans, et en l'absence à longueur de journée de sa grand-mère, en l'absence jusque de ses deux cousins vadrouilleurs inutiles dans les rues de Tunis, est toujours resté seul à la maison. Durant cinq années, jusqu'à s'être débarrassé de sa typhoïde, il n'a fait que garder seul la maison. Terrible solitude au souvenir de laquelle, aujourd'hui encore, il frémit jusqu'à pâlir. Ni père, ni mère, ni grand-mère, ni frère, ni sœur, ni même ses cousins dont, de toute façon, la compagnie ne lui aurait été d'aucun intérêt.
Une rencontre douloureuse
C'est par une journée sans particularité aucune de l'année 1950 que Tahar, 6 ans, fait soudain la connaissance de sa…mère. «Comme ça, elle est venue un jour chez nous. Ma grand-mère m'a dit : ‘‘Tahar, voici ta maman…''. Je l'ai regardée et trouvée très belle, comme ma grand-mère, quoi. Elle m'a embrassé et fait savoir que j'avais maintenant une demi-sœur du nom de Lilia. Elle m'a dit qu'elle travaillait chez une famille huppée, de la bourgeoisie européenne. Je n'ai su que lui dire. Alors elle m'a dit : ‘‘Est-ce qu'on t'a dit, Tahar, que ton père était un grand militant ? Tu sais, il a payé de sa vie son militantisme. Je ne l'espère pas pour toi, mais j'espère que tu seras aussi grand que ton père…''. Puis, nous n'avons rien trouvé à nous dire. J'étais tout simplement heureux d'avoir une maman comme tous les autres gosses, mais je n'ai ressenti aucun élan envers elle. S'en était-elle aperçu ? Je me rappelle par contre qu'en nous quittant, elle avait les larmes aux yeux…».
Chez les Pères…
Tant bien que mal, Tahar finit le cycle primaire en 1957 et s'inscrit au Lycée Alaoui. Plutôt brillant en arabe, nul en français, et encore pire en calcul, Tahar finit sa 3ème année sur une espèce d'ultimatum : «En cas d'échec à la session de septembre, Tahar Ayachi sera déclaré exclu». Il fait tout en septembre pour se rattraper : «J'ai cru avoir obtenu au moins 40 sur 20. Eh bien non, j'étais quand même exclu». A l'époque, les Pères Blancs se font un devoir de repêcher les ‘‘éclopés'' de l'enseignement secondaire, et plus particulièrement les enfants des militants. C'est un certain Michel Lelong qui le prend en charge, veillant de très près à sa scolarité. Mieux : l'arrivée, la même année, de Roland Babel est une aubaine, ce dernier se prenant de plus en plus de sympathie pour l'adolescent qui semble dévorer les cours plus qu'il ne les suit. En fait, chez les Pères, l'enseignement se limite à huit heures par semaine. Avec la faculté pour tout un chacun de se faire tout seul son propre cursus. Tahar affiche une propension très prononcée pour l'Histoire, la géo et surtout l'archéologie. Ce qui lui vaut déjà ! quantité de sorties à travers la Tunisie. Et pour couronner le tout, il entreprend de faire…le Dictionnaire de la Tunisie Traditionnelle, avec son cortège artisanal, rituel, voire gastronomique, etc. Pour la tâche, il est donc tout le temps en train de puiser dans des références diverses et de recopier ses recherches à la main, ce qui, dans la foulée, l'initie mieux que quiconque à la langue française. En même temps qu'il prépare ses ‘‘deux parties du bac'', il obtient de travailler pour échapper au service militaire au prétexte d'être soutien de famille en tant qu'agent simple au Centre des Arts et Traditions Populaires aux côtés de l'anthropologue André Louis. Dans l'exercice de son travail, il participe à des enquêtes de terrain et, mieux, à l'élaboration d'une étude sur l'artisanat du cuivre en Tunisie. C'est probablement là les débuts du grand vadrouilleur qu'il sera plus tard. Car après le bac, il rejoint la Radio tunisienne (RTCI) pour une émission à l'intitulé prémonitoire : «Villages de Tunisie» et pour la réalisation de laquelle il est tout naturellement invité à sillonner le pays.
En 1967, il décide de s'envoler pour la France poursuivre ses études supérieures. A Paris Sorbonne, il fait plutôt sociologie, non les Lettres pour lesquelles il semblait destiné.
La valse des journaux
De retour à Tunis en 1973, il rejoint Cérès Productions pour laquelle, entre autres, il prépare la documentation nécessaire à l'élaboration d'un ouvrage sur le centenaire du Collège Sadiki. Quand, deux ans plus tard, naît le journal Le Temps, il y est invité à collaborer. Trois ans plus tard, il le quitte pour la revue Tunis Scop. Naît alors en 1979 la revue Réalités où il va prêter sa plume aux côtés de Moncef Ben M'rad, Taïeb Zahar et les autres. Mais très vite, il rejoint Le Phare qui le prend en qualité de secrétaire de rédaction. En 1985, il déménage pour L'Hebdo Touristique qu'il quitte cinq ans plus tard pour une maison d'édition dite Carthage Com. Entre temps, de 1986 à 1988, il cumule avec le journal La Presse où naît la rubrique Sur les routes qui n'est autre que l'ancêtre de la fameuse Vadrouille. Et huit ans plus tard, en 1996, il réintègre La Presse sur les colonnes de laquelle la page Vadrouille gagne de plus en plus de lectorat et de notoriété au point d'être à l'origine du Club des Vadrouilleurs né en 1999.
Devenu Association, le Club des Vadrouilleurs a connu à ses débuts quelques difficultés en raison de l'absence répétitive du guide des sorties. Il ne fallait pas être très intelligent pour lui trouver un remplaçant en la personne de Tahar Ayachi, homme d'une grande culture avéré, de surcroît, un vrai atlas géographique de la Tunisie. Depuis 2005, Tahar Ayachi est le guide éclaireur des vadrouilleurs et le chroniqueur infatigable (un peu, quand même) de La Presse Vadrouille.
Pas seulement chroniqueur. Il est aussi écrivain ayant à son actif des ouvrages sur : Le Kef, Habib Blel, et des collaborations à Tunisie Séduction, Confidences de Tunisie et maints autres ouvrages collectifs.
Scandale à la maison
Aujourd'hui, Tahar Ayachi a deux autres ouvrages sur les bras : L'Hôpital Militaire de Tunis et un guide de La Gastronomie tunisienne. Alors qu'il est en plein travail en ce mois de juin 2009, éclate un scandale. Quelqu'un a dû balancer devant la maison des Ayachi deux chatons nés probablement le jour même. L'un d'eux, déjà bien minuscule et sale, présente un mal oculaire mystérieux qui s'apparente à la cécité. Tahar est fou furieux. Il ramasse les deux chatons. Les lave. Soigne les yeux du malade. Hurle sur tous les toits la ‘‘cruauté de ces gens qui jettent dans la rue de pauvres êtres vivants''. Et ne se lasse pas, jour et nuit, d'allaiter, au bout d'une cuillère à café, ses nouveaux hôtes qui, avec les précédents et les chiens, forment la clique des dix.
Demain, il retournera encore et encore sur les routes…


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