Alors que les Amériques et l'Asie orientale, dans un contexte de mondialisation effrénée, s'ingénient à intégrer leurs périphéries, l'inconsistance et le manque de visibilité du projet euro-méditerranéen frise l'inconscience. Après la décomposition du rêve socialiste et la destruction du rideau de fer, symbole de l'affrontement Est-Ouest pendant des décennies, le monde a commencé à se structurer en grands ensembles d'orientation méridienne, organisés autour d'un cur unique (USA/Canada, Japon/Chine, NPI/UE) où se rassemble, pour reprendre la formule de Jacques Attali, éminence grise de la Mitterrandie, dans les années quatre-vingt, une classe créative-armateurs, industriels, marchands, financiers, entrepreneurs, techniciens- caractérisée par la mobilité, la curiosité et l'aspiration au changement et au neuf. Si les deux premiers faisceaux ont engagé, institutionnellement, leur structuration et s'intègrent, chacun, dans un système productif entre ses partenaires septentrionaux et méridionaux, l'Union européenne, désormais de plus en plus «lourde» au nord et à l'est, a privilégié une politique de convergence entre des pays proches sur le plan culturel et relativement homogènes, tout en délaissant les opportunités de son Sud. Hélas ! Le faisceau Europe-Méditerranée, où l'opulence côtoie la misère, terre d'amour et de haine, d'Eris et d'Eros, pour reprendre la formule de Jacques Berque, n'a su ni émerger sur la scène internationale ni instaurer un dialogue partenarial, dans le respect des uns et des autres, encore moins assurer un décollage économique. Une perception porteuse de contradictions et de malentendus «L'Europe continue de conserver une vision de «marges», de «périphéries» pour les territoires du Sud et de l'Est de la Méditerranée, sans apprécier la montée en puissance potentielle de ces économies et sans intégrer le concept de «solidarité-complémentarité», déclare M. Lotfi Boumghar, de l'Institut National des Etudes de Stratégie Globale d'Alger (INESG), dans son intervention lors du séminaire annuel de l'Association des études internationales (AEI), pour qui l'urgence est grande de promouvoir une vraie régulation régionale afin de ménager une transition pour le Sud et approfondir les partenariats entre les deux rives. Ou bien, dit-il, certains renonceront au libre-échange avec le nord de la Méditerranée et cette mer intérieure sera devenue pour longtemps «une frontière dure». Plus grave encore, nous dit M. Rachid Driss (décédé il y a quelques jours - que Dieu ait son âme), président de l'AEI, l'Union européenne et les peuples des rives méridionales et orientales n'ont pas été capables d'engager une initiative diplomatique de grande envergure afin de résoudre le problème palestinien, un conflit politique majeur de l'aire méditerranéenne, ce qui a laissé les mains libres, dans la région, aux Israéliens et aux Américains. La Méditerranée apparaît ainsi de plus en plus périphérique. Alors que Bruxelles est le premier client et le premier fournisseur des pays méditerranéens, sa politique de voisinage n'est pas perçue, au sud, comme une véritable politique de partenariat, encore moins une politique commune. Il s'agit, affirme Monsieur Kamel Ben Younes, rédacteur en chef de la Revue «Etudes Internationales», de constituer sous l'influence de l'Europe, une auréole de sécurité, de paix et de prospérité, sous-entendu pour l'Europe, ce qui est difficilement admissible vu des rives sud et est. L'heure est au real politik Selon les perceptions des uns et des autres, la Méditerranée, aire de cosmopolitisme depuis des millénaires, de brassages incessants, caractérisée par des lais et des relais, avec transfert de l'axe de civilisation d'un foyer vers un autre, est une marge, une marche, un cur, un maillon. Dans un monde en recomposition, devenu polycentrique, avec une ou deux puissances majeures sur chaque continent, l'Union européenne ne devrait pas être absente. Elle a les moyens d'appréhender globalement les problèmes économiques, politiques, sociaux, sociétaux, environnementaux et institutionnels d'un pôle euro-méditerranéen à même de rivaliser avec les autres regroupements de la façade Pacifique. Les perspectives de partenariat avec des sous-ensembles peuvent faire figure de locomotives et aller dans le sens d'une dynamisation progressive de tout le Bassin méditerranéen. Il va donc falloir, peut être, uvrer, à l'avenir, à l'émergence d'entités géographiques plus fines, régionales et se concentrer, de ce fait, sur les relations Europe-Maghreb, Europe-Machreq, Europe-Balkans, Europe-Turquie. Il s'agit de raisonner en termes de bassins, occidental ou oriental, ou de rives, septentrionale ou méridionale. Cela dit, tout doit concourir, nous dit Monsieur Karim Gharbi, Directeur Général de GS1 Tunisia, à une harmonisation d'ensemble, à l'établissement de pratiques solidaires et à la mutualisation des intérêts. Sans ces termes de références, les pièces et morceaux qui composent la mosaïque «Méditerranée» continueront à évoluer au gré des vagues et des vents, bien souvent contraires, à se disperser sans aucune efficacité sur le plan international.