Les relations tuniso-italiennes ont été souvent marquées par un climat positif et sont connues pour leur caractère privilégié surtout qu'il s'agit du deuxième partenaire économique et commercial de par le volume des échanges dans les deux sens. Ceci dit, le phénomène de la migration clandestine a constitué, bien souvent, un facteur de tension et de discorde, notamment depuis la révolution de 2011 en Tunisie, d'un côté, et le retour en force de la droite nationaliste italienne, de l'autre. Curieusement, dix ans après la révolution, la migration clandestine à partir des côtes tunisiennes vers celles italiennes prend en cet été 2020 - toutes proportions gardées - les mêmes lueurs et la même configuration que celles du printemps de 2011. En effet, suite au débarquement de plus de cinq mille « harraqas » tunisiens en Italie, Rome, a mis le holà en adressant une véritable « mise en demeure », aux autorités de notre pays, signifiée par la ministre italienne de l'Intérieur, Luciana Lamorgese, qui avait discuté avec fermeté de la question de la migration illégale avec le président de la République et le ministre de l'intérieur.
Une dizaine de jours après, la même ministre retourne chez nous accompagnée de son homologue aux Affaires étrangères, Luigi Di Maio. Cette visite a pris des allures d'un vrai conclave. Ainsi, une séance de travail élargie a été tenue avec la participation du côté tunisien, du ministre de l'Intérieur, Hichem Mechichi, et de la secrétaire d'Etat, Selma Ennaifer, et, du côté italien, des ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Etaient également présents, des représentants de l'Union européenne, et à leur tête le Commissaire de l'Union européenne chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage, et la Commissaire européenne chargée des affaires intérieures. Faisant souffler le chaud et le froid, la partie européenne parle d'aide humanitaire et d'approche de partenariat socioéconomique, avec une enveloppe de 32 millions de dinars pour aider la marine tunisienne à faire face aux dépenses énormes pour avoir accès aux meilleurs équipements en la matière.
Chez les Italiens, par contre, on continue à prôner l'approche sécuritaire. Dorénavant, toute personne attrapée sans papier sera exclue illico presto, affirme la ministre italienne de l'Intérieur confirmant le durcissement des positions de Rome et son incompréhension de la situation politique et sociale dans notre pays. La Tunisie reconnaît, certes, ce volet, mais estime qu'il ne doit pas être le seul moyen à être pris en considération. C'est dire que la Tunisie se trouve confrontée à un vrai dilemme dans le sens où la partie sud de l'Europe accorde une priorité absolue à la lutte musclée contre la migration clandestine.
Bon à rappeler, l'attitude de l'Europe en 2011 qui a mis en oeuvre tout un programme pour trouver des solutions aux milliers de migrants clandestins qui avaient envahi Lampedusa, où ils étaient plus de vingt mille personnes sans papiers, sans revenus et sans qualifications pour espérer trouver de l'embauche sur le marche du travail italien. Toutefois, outre la compréhension européenne envers la Tunisie de 2011 et qui avait les sympathies et les préjugés favorables du monde entier suite à la réussite de sa révolution contre la dictature de Ben Ali, il y avait le savoir politique de Béji Caïd Essebsi, alors simple Premier ministre provisoire. Il n'y était pas allé de main morte pour accabler une Europe trop refermée sur elle-même et qui se veut pourtant « humanitaire » à souhait. BCE leur avait opposé l'argumentation qui ne laissait personne insensible, à savoir le comportement des autorités tunisiennes pour faire face à un flux de plus d'un million de réfugiés libyens. Il avait dit, en substance : « L'Europe devrait méditer sur ce qui se passe actuellement à Ras Jedir et en Libye. Qu'est-ce que Lampedusa face au drame humanitaire qui se passe actuellement à ciel ouvert sur la frontière tuniso-libyenne ? Rien, si ce n'est que cela se déroule en toute humilité ! Lampedusa n'est rien comparée à Ras Jedir ! ».
Un discours qui a fait comprendre aux Italiens que les Tunisiens ne sont pas prêts à jouer les gendarmes des côtes italiennes et que la Tunisie n'admet pas les faits accomplis que veulent nous imposer le gouvernement d'Italie avec ses mesures strictement sécuritaires. Il s'agit, en effet, d'une solution à court terme, vu que les risques de migration clandestine demeurent réels et potentiels et constitueraient une sorte de bombe à retardement qui peut exploser à tout moment. Sans une attitude compréhensive et humanitaire, la problématique restera en vigueur et minera la nature des relations de coopération entre les deux pays des deux rives de la Méditerranée. De plus que l'attitude de Rome est incompatible avec les conventions internationales prônant le respect des droits de l'Homme qui devraient primer dans le cas d'espèce, sachant que les pays de la rive nord de la Méditerranée pratiquent la migration sélective puisque nos élites, plus particulièrement les informaticiens et autres cadres médicaux, sont les bienvenues chez eux, voire « appâtées » pour se rendre et s'installer dans leurs pays.
En tout état de cause, il est temps d'œuvrer, d'un côté comme de l'autre, à trouver un compromis qui satisferait les deux parties tant au niveau socioéconomique qu'au niveau humanitaire.