Le neveu de Rached Ghannouchi, Habib Khedher a publié un statut dans la soirée d'hier pour répondre au frère du président de la République, Naoufel Saïed qui avait indiqué que l'adoption d'une loi inconstitutionnelle ne la rend pas constitutionnelle, soulignant que le Parlement n'avait pas saisi la chance accordée par le président de la République pour y remédier lorsqu'il avait renvoyé les amendements de la loi sur la Cour Constitutionnelle pour une deuxième lecture.
Ce matin du jeudi 6 mai 2021, c'est Naoufel Saïed qui a répondu à Habib Khedher dans un post publié sur les réseaux sociaux, lui assénant une leçon de droit constitutionnel en huit points que voici :
Le recours à l'instance temporaire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi devait prendre fin avec la création de la Cour constitutionnelle, c'est-à-dire dans un délai maximum d'un an à compter des élections législatives (cinquième point de l'article 148 de la Constitution).
Le septième point de l'article 148 de la constitution précise bien que la mission de l'instance temporaire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi s'achève avec la création de la Cour constitutionnelle. C'est un organe temporaire en vertu de la constitution comme indiqué par son nom.
Au vu de ce qui précède et conformément au texte de la constitution, il est incontestable que l'instance opère en dehors des délais constitutionnels qui leur sont fixés. C'est un parmi les déboires des conditions constitutionnelles lamentables que le pays a traversés ces dernières années.
À la lumière de ce qui précède, je comprends la prudence du président à l'égard de cet organe dont les délais d'activité sont achevés et donc qu'il n'y a pas eu recours pour avis ou pour déposer un recours sur un texte.
L'âge constitutionnel de l'instance temporaire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi a pris fin, et le calendrier constitutionnel pour la mise en place de la Cour constitutionnelle a également pris fin. Telle est la constitution si nous voulons y recourir avec impartialité.
Le droit de renvoyer les projets de loi après leur approbation est un mécanisme inspiré par système présidentiel, et les raisons de recourir à ce mécanisme sont nombreuses, car dans le système présidentiel, par exemple, il compense le fait que le président de la République soit privé de l'initiative législative. Il peut être amené à y recourir aussi dans le but de conférer à l'autorité législative une seconde occasion de repenser le projet de loi et même d'y apporter quelques modifications pour l'adapter à la constitution ou même , pourquoi pas, de ne pas avoir le voter si le législateur est convaincu de son inconstitutionnalité compte tenu des arguments que le président de la République a pu fournir à l'occasion de sa réponse au projet de loi. On doit savoir que l'un des éléments de la réponse est qu'elle doit être justifiée (se référer au cinquième point de l'article 81 de la Constitution). Le renvoi du projet de loi a différentes raisons et pas seulement de demander le renforcement du vote.
La distinction entre légalisation et établissement est une distinction artificielle et du bricolage juridique futile. Il sert à concevoir de nouveaux éléments juridiques, dont le but est de ne pas avoir à reconnaitre qu'on a manqué l'occasion de créer la Cour constitutionnelle dans le délai imposé par la Constitution.
Conformément aux exigences de l'intégrité scientifique, vous pouvez vous référer à l'avis du Tribunal administratif rendu en avril 2015 à l'occasion d'une consultation que j'ai été appelé à présenter sur les délais de mise en place du Conseil supérieur de la magistrature, qui est un avis important étant donné qu'il reflète le point de vue de cette cour par rapport à la nécessité de respecter les délais constitutionnels qui dictent la création des structures constitutionnelles.
La réponse de Habib Khedher ne s'est pas fait attendre, il vient de poster aussi un long post sur les réseaux sociaux en réponse à ce qui précède :
Le post manque de précision ce peut être à l'origine de la confusion. De là est venue donc la confusion entre «création» et «ancrage» lorsque la création est un processus juridique qui se déroule à travers les textes, l'ancrage est un processus réaliste qui se déroule à travers un certain nombre d'actions. M. Naoufel et le président ne l'ignorent certainement pas. C'est aussi comme de décrire ce qui est émis par l'Instance temporaire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi comme un "avis" alors que ce qu'elle émet est une décision. L'avis et la décision ne peuvent être égaux et M. Naoufel et avant lui le président, ne l'ignorent certainement pas.
Ce n'est pas le rôle du président de la République de donner des opportunités et d'ouvrir la voie au rattrapage en cas de violation de la constitution, mais plutôt de suivre les voies prescrites par la Constitution (recours auprès de l'instance) et c'est là le vrai sens d'assurer le respect de la constitution et de ne pas chercher à adapter d'autres mécanismes qui n'ont pas été faits pour cela.
Il est indiqué dans le dernier paragraphe du point 7 de l'article 148 de la Constitution que « La mission de la commission prend fin avec la création de la Cour constitutionnelle », le texte aurait pur inclure : « et dans tous les cas, avec la expiration du délai fixé pour cela », mais il ne l'incluait pas. Cela signifie que la fin de la mission était liée à la création non au délai et il ne fait aucun doute que M. Naoufel et avant lui le président de la République le savent pertinemment.
Dans notre système, le président de la République jouit de l'initiative législative, il n'y a donc pas de place pour l'argument de la réponse comme un substitut pour lui accorder un droit dont il n'est pas privé, et donc une bonne compréhension de ce mécanisme doit être reconnue dans le sens ou le renvoi n'est pas du tout lié à la question du constitutionnalité, mais plutôt à la commodité du point de vue du président de la République.
L'expliction présentée pour la réponse est dangereuse car elle s'applique à la proposition de référendum, car ce sont deux mécanismes alternatifs, et il suffit d'imaginer que le président de la République, à réception d'un projet de loi approuvé par l'Assemblée des Représentants du Peuple, le juge inconstitutionnel selon ce point de vue. Le peuple vote en faveur du projet. Le Président de la République refuse de le signer, prétendant qu'il est inconstitutionnel ! Ce n'est rien d'autre qu'une porte ouverte à l'obstruction qu'aucune personne sensée ne consent.
Si le recours sur l'inconstitutionnalité n'avait pas été à la disposition du président de la République, son argument sur la suspicion d'inconstitutionnalité aurait été acceptable. La constitution ayant approuvé divers mécanismes à cet effet, il n'est pas correct de dépasser la date limite pour pratiquer un mécanisme et ensuite le contourner pour recourir à un autre mécanisme. Avec l'expiration du délai pour contester la constitutionnalité, le droit du président de débattre de la constitutionnalité a cessé. Il s'agit d'un délai de procédure dont l'expiration entraîne la chute du droit.
Décrire une idée comme «artificielle» ou de « bricolage » ne suffit pas pour y répondre. Il y a une nette différence entre la législation et la mise en place. Supposons, si la Cour constitutionnelle était en place en ce moment, n'est-il pas permis d'amender sa loi ou sera-t-elle gelée jusqu'à la fin des temps.
Le désaccord ne porte pas sur la nécessité de respecter les délais (la position du Tribunal administratif, etc.), mais sur ce qui résulte de leur dépassement. Je répète la question : le Tribunal administratif a-t-il dit, concernant le dépassement des délais pour la création du Conseil supérieur de la magistrature, qu'il n'était plus possible - à l'époque - pour l'Assemblée des représentants du peuple de légiférer sur le sujet. Habib Khedher a enfin souligné que la seule alternative pour le président est de signer et de publier la loi tel que stipulé explicitement dans la Constitution précisant que toute autre option que celle-ci est une violation de la constitution qui ne peut être justifiée par aucun raisonnement.