« Nous sommes convaincus que la corruption est nuisible, car elle fait obstacle à la croissance et au développement économiques, entame la confiance du citoyen dans la légitimité et la transparence des institutions et entrave l'adoption de lois justes et efficaces, ainsi que l'administration et l'exécution des lois et l'action des tribunaux, et insistons, en conséquence, sur l'importance de l'état de droit en tant que condition essentielle de la prévention et de la répression de la corruption, dans le cadre, notamment, d'une coopération plus étroite entre les Etats en matière pénale. » Déclaration des Chefs d'Etat et de gouvernement. ONU le 24 septembre 2012. Nonobstant les désagréments causés par l'ambiance suspicieuse qui règne en ce moment où la norme dans les relations entre administrés et administrateurs est devenue le soupçon ; notre pays a fait ces deux dernières années de grands progrès en matière de lutte contre la corruption. Certes la chasse aux sorcières fait la une des feuilles de chou et on ne compte pas les victimes collatérales de quelques journaleux mais au-delà de ce théâtralisme orchestré je persiste à croire que les intentions sont bonnes. Une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec le pour pouvoir en place ce combat doit être en tête des priorités pour notre pays. Malheureusement après la révolution ce dossier a été instrumentalisé. Il a souffert des ambitions démesurées de certains, mais ce n'est pas pour autant qu'il doit être abandonné ! La corruption est un phénomène qui touche tous les pays, aucun Etat n'y échappe, quel que soit son niveau économique ou social. Selon les estimations de la banque mondiale, elle causerait, à travers le monde, 1 000 à 2 000 milliards de dollars de pertes tous les ans. Chez nous, le phénomène a proliféré lors de la dictature, mais il était relativement contenu, après le 14 janvier il s'est carrément généralisé (banalisé). Aujourd'hui il est en voie de chronicisation et si nous restons passifs il risque de s'implanter durablement dans notre pays. Nous avons tous à l'esprit des histoires d'injustices intolérables secondaires à ces pratiques. Nous en avons tous souffert de près ou de loin, les petites comme les grandes entreprises, le secteur public et le secteur privé. Ses désastreuses répercussions ont ruiné beaucoup d'initiatives et ont découragé plus d'un investisseur. Les plus lésés sont les entreprises et les citoyens qui respectent les lois... Sur le plan plus global la corruption nuit à la croissance économique et biaise la compétitivité. Elle est source d'iniquités. Pour ces raisons et bien d'autres, l'instrumentaliser à des fins politiques a été une grave erreur. Le secteur de la santé est particulièrement vulnérable. La corruption existe dans tous les systèmes de santé du monde, à des niveaux et de manières différents, évidemment ceci ne peut en aucun cas expliquer ces pratiques. Dans les systèmes les plus déviants, le phénomène est caricatural, la corruption devient la norme. J'ai souvent entendu des collègues affirmer que la corruption était inéluctable dans leur exercice de la profession (sic). Parce qu'il touche l'individu et la communauté dans ce qu'elle de plus précieux, le secteur de la santé doit être particulièrement protégé en priorité, or c'est loin d'être le cas. Pour traiter un mal à la racine, il faut en connaître les symptômes et les répercussions. Sans prétendre à l'exhaustivité, les secteurs le plus souvent concernés sont : Les prestations de services par le personnel de santé Les achats d'équipement et de fournitures Les achats, la distribution et l'utilisation des médicaments La réglementation sur la qualité des produits, des services et des installations La formation des professionnels de la santé La recherche médicale La construction et entretien des structures de santé Transparency International classe les formes de corruption en six axes en fonction de leurs causes. Schématiquement on pourrait les classer en : Détournement des services disponibles Paiements informels par les patients Détournement de fonds, vols de matériel et de médicaments Absentéisme Favoritisme Manipulation des données Il serait fastidieux de développer toutes les facettes que prennent ces pratiques. Elles existent à tous les étages. Les plus connues sont, les détournements de malades vers le secteur privé, les ristournes, la dichotomie, les indications abusives, l'ouverture à minima des infrastructures publiques pour les patients… l'utilisation d'installations et d'équipements publics pour des patients privés ou encore des paiements occultes au sein de structures publiques…Pour les plus impécunieux et autres ces pratiques entraînent un appauvrissement qui met des familles entières dans la misère. Un cercle vicieux s'installe, la victime devient bourreau, poussée à l'extrême, elle-même se livrant à des pratiques frauduleuses dans son travail. De toutes les façons, victimes et bourreaux finiront par perdre confiance dans le système et en dénonceront l'incurie en ayant oublié qu'ils ont en sont aussi les acteurs. Ailleurs des campagnes de marketing se déguisent en réunions scientifiques médicales où l'on expose des pseudo-essais thérapeutiques financés par des compagnies pharmaceutiques etc Les achats d'équipements, les constructions, l'utilisation des moyens de l'administration, les bons d'essence, les arrêts maladies de longue durée pour travailler au noir ailleurs, les procédures de recrutement, les concours institutionnels…Petites ou grandes affaires, on pourrait poursuivre et établir un inventaire à la Prévert des méthodes illicites utilisées, d'ailleurs ce travail devrait être fait à un moment ou un autre. Il faut noter qu'on les retrouve un peu partout à travers le monde les mêmes pratiques, un peu comme si tous s'étaient donné le mot ! La pandémie a démontré à ceux qui en doutaient encore que la santé est un bien commun. Nous sommes tous reliés les uns aux autres par le virus ou par autre chose. Partant de là, il est aisé de comprendre que les ressources nécessaires au bon fonctionnement de la santé ne devraient être régies que par deux principes : la solidarité et la justice. La corruption fait exactement l'inverse. Faire admettre à toutes les composantes de la société que notre intérêt à tous en matière de santé mais pas que, réside dans la lutte contre ce phénomène n'est pas aisé. Par où commencer ? Peut-être faut-il commencer par ce qu'il ne faut pas faire ? La lutte contre la corruption doit devenir une cause nationale mais sans théâtralisme ni stigmatisation, sans discours moralisateurs, ni invectives. A l'échelle individuelle, chacun doit prendre part à la promotion d'une culture de la transparence, de l'intégrité et de la responsabilité, c'est à ce prix que nous gagnerons la bataille. La société juste et équitable à laquelle aspirent tous les humains ne sera bâtie que si chacun à son niveau réalise qu'avec la corruption nous sommes tous perdants! Vous pouvez à au moment avoir l'impression d'être avantagé par un système, sur un dossier mais in fine vous serez perdant, car inéluctablement vous serez un jour l'autre victime de ce système. C'est un travail de longue haleine qui commence toujours par la sensibilisation et l'éducation. Il faut former et sensibiliser la population, les agents publics, les élus, les enseignants, les éducateurs, les étudiants, les élèves à mieux connaître et détecter toutes les formes de corruption. Sans fausse pudeur ou corporatisme mais aussi sans stigmatisation, les choses doivent être dites. Des campagnes de sensibilisation claires, subtiles dans les médias et sur les réseaux sociaux sont nécessaires. A priori tout le monde est innocent. Parallèlement il faut anticiper et renforcer les dispositifs de prévention au sein de toutes les institutions, la mise en place de comité de gouvernance et d'éthique dans chaque institution pourrait épargner à certains de se mettre sur des pentes glissantes. L'Etat doit aider les institutions, les entreprises à mettre en œuvre des dispositifs anti-corruptions. Prévention mais aussi répression. La vigilance de l'administration fiscale est essentielle, les trains de vie, les signes extérieurs de richesse inexpliquées ou disproportionnés mènent souvent à la source du problème. Parce qu'elle affaiblit l'Etat, mine la crédibilité et fragilise la confiance dans ses institutions, la lutte contre la corruption doit être méthodique et impitoyable. La corruption est une menace à la gouvernance et à la stabilité et in fine une menace pour les démocraties fragiles, il faut y consacrer des moyens importants. L'Etat de droit n'en sera que renforcé. Notre salut passe par le traitement objectif, méthodique et rigoureux de ce fléau par des experts de diverses spécialités (fiscalistes, juristes, sociologues, banquiers…).