Depuis hier, nous constatons sur les réseaux sociaux des publications attaquant le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) Youssef Bouzakher. Les publications sont l'œuvre de personnes parmi les fervents soutiens du président de la République, communément appelés les « mouches jaunes ». A chercher de près, on devine la source de cette campagne, à savoir une page Facebook connue par les médias pour être le porte-parole officieux du palais de Carthage. C'est sur cette page, qui compte 1,5 million d'abonnés, que les opposants et les critiques de Kaïs Saïed font régulièrement l'objet de vidéos et de publications hostiles où le dénigrement se mélange à l'injure et à la moquerie. La semaine dernière, nos confrères de Mosaïque FM, Noureddine Boutar, Zyed Krichen et Haythem El Mekki ont été la cible à travers deux vidéos spécialement dédiées pour les descendre.
Hier soir, cette page (dont nous tairons le nom) a diffusé une vidéo de 33 minutes pour attaquer nommément Youssef Bouzakher et le CSM, jusqu'à la divulgation de données personnelles que seuls des personnes exerçant dans un appareil de l'Etat peuvent trouver. M. Bouzakher est accusé de corruption et d'avoir étouffé plusieurs affaires impliquant Ennahdha. Le Facebookeur qui attaque M. Bouzakher est un homme costumé d'une soixantaine d'années qui lit un document écrit préalablement et invite ses abonnés à partager en masse sa vidéo pour servir l'intérêt de la Tunisie, d'après ses dires. Par moments, on dirait qu'il découvre le document pendant le live qu'il était en train d'effectuer. A l'écouter, le président du CSM est là où il est grâce à l'intervention de Belhassen Ben Amor (magistrat, ancien conseiller de Youssef Chahed) et de Mohamed Abbou à qui il aurait rendu plusieurs services. Dans sa vidéo, l'intervenant qualifie les différentes personnalités politiques de corrompus, de fraudeurs, de criminels, etc, le tout dans un discours attendrissant, identique à celui du président de la République du type « ces fraudeurs qui pillent le pauvre peuple tunisien », « l'argent dérobé du peuple tunisien », « les criminels protégés par la mafia » etc. Bien entendu, toutes les personnes attaquées figurent parmi les dissidents qui dénoncent le coup d'Etat de Kaïs Saïed. Cette formule de faire appel à des « mercenaires » pour attaquer l'opposition, les médias et les personnalités qui refusent la soumission aux ordres, est bien connue et bien usée, du temps du communisme.
Youssef Bouzakher fait partie des magistrats qui se sont opposés à l'ingérence du président de la République dans le travail judiciaire et à sa volonté de réformer le CSM. Ses interventions, toujours modérées, n'ont jamais appuyé Kaïs Saïed dans sa démarche de faire main basse sur l'appareil judiciaire. Il l'a carrément poussé à se rétracter puisque le président de la République s'est autoproclamé chef du parquet le 25 juillet. Décision qui n'a jamais été suivie d'effet. Bien qu'on ait actuellement des personnalités politiques jetées en prison, alors que leurs dossiers sont totalement vides d'après ce que jurent leurs avocats, Youssef Bouzakher semble résister à ce que la liste des détenus politiques s'allonge et préfère laisser les magistrats travailler en toute indépendance, sans pression. Ils travaillent sur la base de dossiers solides et de preuves irréfutables et non à partir de publications Facebook. Chose qui déplait certainement à Kaïs Saïed qui a besoin que l'on mette des « corrompus » en prison coûte que coûte, pour concrétiser toutes les promesses qu'il a formulées à plusieurs reprises devant les caméras. Qui sont ces corrompus ? Tous ceux désignés comme tels par certaines pages Facebook. Ces pages, et spécialement celle aux 1,5 million d'abonnés, semblent être sûres de leur impunité, en dépit de toutes les injures et les menaces qu'elles profèrent à visage découvert.