Discours historique que celui donné vendredi 30 septembre 2022 par le président russe Vladimir Vladimirovitch Poutine. A la veille de son 70e anniversaire, qu'il fête ce vendredi, Poutine a rappelé les contradictions, l'hypocrisie et les crimes commis, ces dernières décennies, par les Occidentaux, les Etats-Unis en tête. La salle, remplie par ses apparatchiks, l'a applaudi à plusieurs reprises. Mais il n'y a pas qu'à Moscou que le président russe a été applaudi. Poutine a séduit les quatre coins de la planète non inféodés aux Occidentaux, autoproclamés maîtres du monde. Dans son envolée contre l'Occident, Poutine a fustigé « ce système néocolonial qui lui permet de parasiter et, de fait, de piller le monde entier (…) Ils veulent nous voir comme une colonie. Ils ne veulent pas une coopération d'égal à égal, mais le pillage. (…) Le monde unipolaire construit par l'Occident est antidémocratique, faux et hypocrite jusqu'à la moelle ». Au terme de ce discours, suivi d'un second en fin d'après-midi devant une Place rouge pleine à craquer, Vladimir Poutine a signé le décret d'annexion de quatre régions russophones, jusque-là ukrainiennes, Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia. Annexion décidée à la suite d'un référendum ayant été approuvé par 97% des participants, d'après les chiffres donnés par Moscou.
Depuis Tunis, ce discours interpelle. Non pas qu'on soit concernés par les propos de Vladimir Poutine (quoique), mais il y a comme un nouvel ordre mondial qui se dessine devant nous et il y a des points que le président russe relève qui devraient nous ouvrir les yeux. Je parle notamment de ceux qui (comme moi) s'estiment libéraux et progressistes et assimilent systématiquement (et naïvement) progressisme et occidentalisme. Vladimir Poutine met à nu cette hypocrisie occidentale, si évidente pourtant. Commentant le référendum et l'annexion, les politiques occidentaux ont, à l'unanimité, rejeté les résultats et nié le droit des peuples à l'autodétermination. Pourtant, ces mêmes Occidentaux ont applaudi des deux mains quand le Kosovo a proclamé unilatéralement en 2008 son indépendance de la Serbie. Pour les Occidentaux, l'annexion est illégale, elle est une invasion pure et simple. Les mêmes sont sourds, muets et aveugles quand Israël annexe chaque année depuis plus d'un demi-siècle des kilomètres carrés de la Palestine. Ce même Occident qui crie sur tous les toits défendre la liberté d'expression n'a pas hésité à fermer les médias russes RT et Sputnik, sous prétexte de guerre, imposant ainsi un seul son de cloche à l'opinion. Un peu partout, les réactions hostiles à Vladimir Poutine sont qualifiées de « réactions internationales », alors qu'il n'y a que les Occidentaux qui fustigent le président russe. Le reste du monde, c'est-à-dire plus de ¾ de la planète, regarde popcorn à la main. Toujours dans la même ligne politique hypocrite des deux poids deux mesures, l'Occident a dénoncé, à l'unanimité, l'invasion russe de l'Ukraine. Mais quand la Libye, la Syrie et l'Irak ont été violés, politiques et médias ont trouvé 1001 qualificatifs pour justifier l'invasion occidentale. Israël qui viole, à répétition les lois internationales, a le droit de posséder l'arme nucléaire, mais pas l'Iran jugée Etat voyou. On peut écrire des livres avec de pareils exemples d'hypocrisie. Le fait est que Vladimir Poutine a agi, envers l'Ukraine, de la même manière que les Occidentaux ont agi avec d'autres pays. Et cela va de la Serbie aux Iles Malouines en passant par la Palestine, l'Afghanistan et la Syrie. Poutine a fauté, ceci est indiscutable. Je ne saurai justifier son intervention en Ukraine. Il n'a pas su maquiller son acte de guerre comme George W. Bush et Nicolas Sarkozy en leur temps. Avec son discours de vendredi, il essaie, a posteriori, de cliver l'occident et le reste du monde et le danger est là. Il faut toujours se méfier des gens qui divisent dans les discours. Poutine a réussi son exercice et l'opinion internationale le regarde avec une certaine sympathie. Elle le comprend, elle l'excuse et le considère presque comme ce héros qui affronte, seul, la tyrannie occidentale. Face à l'opinion russe, Poutine est en train de ressusciter la grandeur perdue de l'empire déchu. Voilà la perception en dehors de l'Amérique du Nord et de l'Europe.
Et la Tunisie dans tout cela ? J'y arrive. Pour des raisons historiques, géographiques et économiques, la Tunisie a maintenu et préservé d'excellentes relations avec l'Occident, notamment l'Union européenne et spécialement la France. Excellente relation ne signifie toutefois pas soumission. Nonobstant la période 2011-2019, nos présidents ont toujours préservé l'image d'une Tunisie qui traite d'égal à égal avec les Occidentaux. C'était le cas avec Bourguiba, Ben Ali et maintenant Saïed. Bourguiba a menacé d'arrêter les relations avec les Etats-Unis si ces derniers ne soutiennent pas une résolution de l'ONU condamnant l'attaque israélienne sur Hammam-Chatt de 1985. Ben Ali a quasiment renvoyé l'ancienne secrétaire d'Etat américaine Condolezza Rice. Bien qu'il n'ait pas les moyens de sa politique, Saïed a toujours vendu l'image d'une Tunisie souveraine. Rien que samedi dernier, il fustigeait l'émigration des médecins en France en déclarant ironiquement : « qui est en train de prêter l'autre ?» En dépit de cette image d'égal à égal et de souveraineté cultivée par nos dirigeants politiques, la réalité sur le terrain est différente. Les citoyens tunisiens restent soumis aux diktats des Occidentaux et aux invectives régulières dans leurs médias.
La meilleure illustration de ce diktat et de cette hégémonie s'illustre à travers le fameux « visa », sésame obligatoire pour les Tunisiens pour aller en Europe, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Le grand chirurgien orthopédiste Kaïs Nigrou a lancé, jeudi dernier, un véritable coup de gueule après le refus de visa opposé aux multiples demandes de ses enfants. M. Nigrou fait pourtant partie de cette intelligentsia francophile, polyglotte, progressiste et culturellement très proche des Occidentaux. Il connait et aime l'Europe, et spécialement la France, mieux que la majorité des Européens. Ni lui, ni ses enfants, n'ont le profil de futurs clandestins ou d'imams barbus adeptes du prosélytisme. Le principe même du visa est injuste. De quel droit empêche-t-on les citoyens de se déplacer sur un endroit de la terre ? Le droit de circulation de tout être humain est violé, en toute impunité, par certains pays occidentaux. À cette injustice de principe, s'ajoute l'humiliation pour certains peuples. Les Occidentaux imposent ce diktat aux uns, mais pas aux autres, juste parce que les uns ont une nationalité que d'autres n'ont pas. À cette humiliation, s'ajoute une sorte d'ingratitude à l'encontre de personnes qui ont toujours prôné l'occidentalisation et la laïcisation de la Tunisie qui n'est ni vraiment arabe, ni vraiment occidentale. À cette ingratitude, s'ajoute une hypocrisie, car ces mêmes pays qui rejettent les visas de certains, font tout pour en délivrer à d'autres, à l'instar des médecins et, tout dernièrement, le personnel de l'hôtellerie. Après avoir pillé ses richesses pendant des décennies, l'Occident est en train de piller nos meilleures ressources humaines. D'un côté, il débauche les meilleurs, de l'autre il nous jette la racaille. Il nous débauche nos médecins et ingénieurs (dont la formation a tant coûté à la collectivité) et il veut qu'on accepte les terroristes, les barbus et les voyous. Plus que de l'hypocrisie, c'est de la cupidité ! À tout ce qui précède, s'ajoute une véritable arrogance avec un Occident qui se présente comme le nombril du monde et donneur de leçons à toute la planète. « Mais qui vous a donné ce droit de dessiner des frontières et de décider de nos vies », s'est exclamé Poutine vendredi ! Avec cette politique injuste, humiliante, ingrate, hypocrite, cupide et arrogante, l'Occident ne fait que cultiver de la haine anti-occidentale. La conséquence spectaculaire de cette politique est visible depuis le 11 septembre 2001. Elle enfante systématiquement des terroristes par ci et des Poutine par là.