L'universitaire Moez Soussi, professeur d'économie à l'Université de Carthage, a expliqué, dans une interview accordée à Mosaïque FM jeudi 7 août 2025, que la baisse du taux d'inflation annoncée récemment ne signifie pas pour autant une diminution réelle des prix dans la vie quotidienne des Tunisiens. Revenant sur les dernières données publiées par l'INS, l'économiste a décrypté les mécanismes de l'inflation, ses effets différenciés selon les catégories sociales et les secteurs, et a mis en garde contre les limites d'une lecture purement statistique du phénomène. « Il faut d'abord comprendre ce qu'est réellement le taux d'inflation », explique Moez Soussi. « Une baisse de l'inflation ne signifie pas que les prix baissent, mais simplement qu'ils augmentent moins vite. » Il insiste : l'indice des prix à la consommation n'est qu'une moyenne, qui ne reflète pas fidèlement l'expérience de chaque consommateur. Le sentiment d'inflation, ou ressenti, dépend fortement des habitudes de consommation de chacun. Une personne qui achète principalement des produits de base subventionnés, comme le pain ou la semoule, ne percevra pas l'inflation de la même manière qu'une autre qui consomme des produits non subventionnés ou importés. « Par exemple, les produits de base ont vu leur inflation limitée à 0,5 %, mais les produits non subventionnés ou à forte valeur ajoutée restent très chers », précise-t-il. Résultat : les classes moyennes, qui consomment davantage ces produits, subissent une perte de pouvoir d'achat plus importante.
Pour Moez Soussi, la hausse des prix dans les secteurs clés, notamment l'agroalimentaire, s'explique aussi par des problèmes structurels. La crise de l'eau, les difficultés rencontrées par les agriculteurs et les décisions de restriction de l'irrigation affectent directement l'offre. « Quand on empêche les agriculteurs de produire, cela se traduit mécaniquement par une baisse de l'offre de fruits, légumes et viandes. Résultat : les prix augmentent », alerte-t-il. Il plaide pour une gestion plus rationnelle et stratégique des ressources naturelles afin d'éviter une spirale inflationniste dans le secteur alimentaire. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les hausses de prix dans les produits manufacturés (+3,5 %) et les services (+4,7 %) ne sont pas les principales causes de l'inflation actuelle. Moez Soussi évoque ici l'impact modéré du « coût importé », grâce à une certaine stabilité du dinar face aux devises étrangères, comme l'euro ou le dollar.
Le maintien du taux directeur à 7,5 % par la Banque centrale constitue une décision cruciale pour contenir l'inflation, même si elle pèse directement sur la vie quotidienne. « Même ceux qui n'ont pas de crédit sont affectés, car les taux élevés freinent la consommation et l'investissement », analyse-t-il. En rendant l'accès au crédit plus coûteux, la Banque centrale tente de limiter la demande globale et, par conséquent, de freiner l'inflation. Mais cette stratégie comporte un risque : « Si les prêts deviennent inaccessibles, cela ralentit l'activité économique, freine la création de richesse et aggrave la précarité », prévient Moez Soussi. Pour l'économiste, il ne suffit plus d'agir uniquement sur les taux d'intérêt. Il appelle à des réformes profondes : renforcer la productivité, améliorer l'organisation du travail, moderniser le Code du travail et encourager la production locale. « Donner des droits aux travailleurs est une évidence, mais il faut aussi créer de la richesse. Le vrai défi est là : bâtir une économie productive, compétitive et résiliente », conclut-il.