La résilience dont a fait preuve Youssef Chahed face à la vague de mécontentements et de protestations contre la Loi de finances 2018 mérite objectivement d'être saluée. Il y a 4 ans, Ali Laârayedh, alors chef de gouvernement, avait annulé une disposition de la loi de finances 2014, l'article 66 précisément, portant sur le tarif de la vignette des véhicules de transports agricoles, dès les premières manifestations de mécontentements, sans même en avoir préalablement informé Elyes Fakhfakh, son ministre des Finances. Désormais, Youssef Chahed sera entièrement comptable du bilan économique et financier qu'affichera le pays à la fin de l'année. Non seulement, personne ne lui fera un cadeau, mais il s'en trouvera plusieurs à chercher dès le départ à dénigrer, sinon à tenter de mettre des bâtons dans les roues de l'action gouvernementale. Pour l'heure, le chef du gouvernement garde un avantage sur l'opposition et aussi sur ses soutiens ou supposés comme tels, celui du crédit favorable qu'il a auprès d'une large partie de l'opinion publique. Mais cet avantage risque de s'effriter rapidement en raison d'une stratégie de communication gouvernementale visiblement déficiente. Car enfin, le gouvernement avait conscience de l'impact de certaines dispositions fiscales sur le revenu et le niveau de vie du citoyen, sur les charges des entreprises et donc sur leurs perspectives d'investissement. Il savait que cela allait attiser le feu de la colère. Las, il n'a même pas tenté de contrer le phénomène en allumant des contre-feux.
A défaut d'avoir mis en place une approche de communication proactive, le gouvernement en est venu dans la précipitation à mettre en place un ersatz de communication de crise pour calmer la fièvre. Pourtant, les éléments sur lesquels se fondait cette dernière ne sont pas nouveaux. Logiquement, ils devaient être inscrits dans l'agenda 2018 du gouvernement. On ne peut pas imaginer que le gouvernement ait imposé autant de mesures fiscales qui touchent le revenu sans avoir au préalable prévu un programme de soutien aux catégories les plus vulnérables de la population. C'est dans la logique des choses que le gouvernement envisage de réévaluer la pension attribuée à chaque famille nécessiteuse dans le cadre du programme national d'aide aux familles nécessiteuses (PNAFN), qu'il pense à une revalorisation du SMIG ou qu'il innove en élargissant la couverture médicale gratuite ou à taux réduit aux diplômés au chômage.
Pour convaincre l'opinion, c'était là les contrefeux qu'il convenait d'allumer parallèlement à l'annonce d'une importante campagne de contrôle économique pour contrer toute velléité de hausse illicite, touchant particulièrement les produits du quotidien et les produits compensés et d'anticiper ainsi tout risque d'émergence d'une valse des étiquettes.
Les conférences de presse de Omar Bèhi et Mohamed Trabelsi, respectivement ministres du Commerce et des Affaire sociales n'ont pas eu l'écho escompté car les médias étaient ailleurs, à couvrir les manifestations et les débordements des casseurs. Pour convaincre le monde des affaires, le gouvernement aurait gagné à ne pas attendre l'occasion du congrès de l'UTICA, la centrale patronale historique, pour présenter aux chefs d'entreprise un programme précis qui mettrait le holà à la bureaucratie. Youssef Chahed aurait réfréné les ardeurs des patrons s'il avait plaidé le projet de loi de finances 2018 en annonçant un calendrier précis de baisse de la pression fiscale ou des charges sociales des entreprises. Les chefs d'entreprise ont besoin de prévisibilité. Et l'objectif de limiter le déficit budgétaire à 3% du PIB en 2020 ne suffit pas, s'il n'est pas accompagné d'éléments qui éclairent les perspectives comme un allégement graduel des charges grevant l'entreprise. Tout cela méritait d'être communiqué avant que ne naissent les soubresauts. Pas après.