Rien ne va plus à la Steg. Le dernier incident en date a fait sortir de leurs gonds les syndicats et employés de la société qui sont entrés en "grève" pour protester contre la plainte déposée par la direction générale contre Ridha Torkhani. Les syndicats de la Société tunisienne de l'électricité et du gaz (Steg) sont dans une colère noire. La direction générale de la société a porté plainte contre Ridha Torkhani, un de leurs leaders, à cause du sit-in ouvert entamé le 1er mars dernier au siège social de l'entreprise. Le secrétaire général de la section de Tunis de la Fédération générale de l'électricité et du gaz et secrétaire général du syndicat de base du siège de la société relevant de l'UGTT, a été convoqué hier jeudi 21 mars 2019 par la brigade criminelle de la Cité El Khadhra et interrogé pendant plus de 3 heures. On l'accuse d'entraver un service public, d'interdire l'accès aux fonctionnaires de la direction générale, d'empêcher le directeur général d'effectuer sa mission et d'ériger une tente sans l'aval de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). M. Torkhani risquerait une peine de prison de 5 ans et plus.
Une accusation «abusive, sans une once de vérité» rétorquent ses collègues, l'objectif étant d'intimider syndicalistes et employés. Cette plainte sonne comme une atteinte au droit syndical et une volonté de nuire non seulement aux syndicats mais aussi à la société, le mouvement étant né, selon eux, pour défendre la société qui vit une crise importante à cause, entre autres, de la mauvaise gestion du DG Moncef Harabi. Depuis que le mouvement de protestation a commencé le 1er mars 2019, les services de le Steg ont continué à fonctionner normalement, a indiqué Slim Bouzidi, membre de la Fédération générale de l'électricité et du gaz, dans une déclaration à Business News ce vendredi matin 22 mars 2019. Il explique que seules les personnes qui ne travaillaient pas et n'étaient pas en permanence se rassemblaient devant la tente érigée en face des locaux de la direction, les autres vaquaient à leurs occupations. Le syndicaliste a précisé aussi que le sit-in est légal et a été entrepris suite à la réunion de l'instance sectorielle avec l'accord de l'UGTT et de la fédération. Autre fait important, les protestataires n'ont pas empêché les membres de la direction d'accéder à leurs bureaux. Il en est de même pour M. Harabi, qui selon eux, n'est pas venu au siège depuis le début du sit-in. D'ailleurs, il était en vacances lorsque le mouvement a été entamé.
Business News a tenté de joindre aussi bien l'attaché de presse de la Steg que Moncef Harabi, mais sans succès. Ceci dit, selon des sources bien informées, des menaces pèseraient sur le responsable qui a dû improviser et diriger la société d'un local se trouvant dans la Zone Urbaine Nord. Ainsi et pour éviter une confrontation qui n'apporterait rien de bon à la société, il a décidé de recourir plutôt aux voies légales qui lui sont offertes.
Mais pourquoi tout ce remue-ménage ? En effet, depuis quelques semaines, le bras de fer continue entre le syndicat et la direction et le ministère de l'Industrie et des PME. Les syndicalistes refusent le prolongement d'un an du mandat du DG, qui a atteint l'âge de la retraite. Pour eux, son bilan a été négatif, la situation de la société s'étant largement aggravée. Ils veulent un nouveau responsable à la tête de l'établissement qui sera capable de redresser la situation et de sortir la société de la crise. Concrètement, les syndicalistes pointent certaines lacunes chiffrées. Depuis que le DG a pris ses fonctions début 2017, les dettes de la société se sont aggravées, passant de 4,41 milliards de dinars fin 2016 à 6,53 milliards de dinars à long terme (+2,12 milliards de dinars) et de 587 millions de dinars à 1,69 milliard de dinars à court terme (+1,1 milliard de dinars), selon les chiffres communiqués par le syndicat de base.
Le résultat d'exploitation est passé de 310,6 millions de dinars en 2016 à -594 millions de dinars en 2018. Les créances clients sont passées de -979 millions de dinars en 2016 à -1372 millions de dinars en 2018. 48,5% de ses créances proviennent du public : 23% entreprises publiques, 18,5% administrations et 7% collectivités locales. En décembre 2018, trois entreprises publiques ont cumulé à elles seules plus de 227 MD de créances : la Société nationale de cellulose et de papier alfa (SNCPA) 83 MD, El Fouladh 78 MD et Société des Ciments d'Oum El Kélil (Ciok) 66 MD. Côté ministères, celui de la Santé se place en tête avec 48 MD, suivi de ceux de l'Agriculture 47 MD et de l'Intérieur 41 MD.
Pour le directeur général, c'est un ensemble de facteurs qui ont bouleversé la donne. Dans un document destiné au Conseil d'administration de la société, il en énumère plusieurs, notamment la hausse du prix du baril corrélée au glissement du dinar, la hausse de la demande du pays avec une baisse de la production d'énergie, la compensation qui n'est pas systématiquement versée, une décision d'un conseil ministériel datant du 30 décembre 2014 qui stipule la séparation entre l'achat et la vente de gaz naturel et entre les sociétés publiques concernées, etc.
Moncef Harabi propose diverses solutions, notamment de trouver des lignes de financements en devise qui permettraient à la Steg de faire face à ses engagements ainsi que d'opérer des achats à terme pour le gaz naturel et qui lui permettraient de se prémunir totalement contre les risques de change.
La situation sociale de la Steg est explosive et risque d'empirer à tout moment. Des solutions urgentes doivent être mises en place, pour que ce service public, primordial, ne soit pas affecté et que les Tunisiens ne soient pas pris en otage pour des raisons qui ne les concernent pas. La mise en place de réformes structurelles devient non seulement un impératif mais une urgence, pour préserver cet acquis important.