Elles étaient attendues ces élections ! Qu'est-ce qu'ils ont dû sacrifier les Tunisiens pour qu'enfin, le doigt maculé d'encre ils puissent enfin éprouver la fierté d'être parmi les rares pays arabes à se targuer de vivre dans un Etat démocratique. Cerise sur le gâteau, ils ont été des millions à suivre des débats électoraux, postés devant leur téléviseur, jugeant, critiquant et encourageant les candidats aux deux échéances, présidentielle et législatives. Un bonheur qui leur a aussi coûté quelques neurones…
Le 30 septembre 2019, ont démarré les débats entre les représentants des différentes listes candidates aux élections législatives baptisés « La route vers le Bardo ». Les débats se sont poursuivis le 1er et 2 octobre 2019 et ont opposé au total 27 candidats répartis en trois groupes de 9.
Les débats ont porté, chaque soir, sur trois axes principaux à savoir, les questions d'ordre social, éducatif et de santé, les questions portant sur le développement, l'économie et les finances publiques ainsi que les questions régionales. Pour chaque axe, une question commune a été adressée à tous les candidats. Elle a été suivie par une question spécifique pour chacun d'eux et par la suite, un débat opposé trois candidats sur une question posée tour à tour par l'un d'entre eux.
Les réponses devaient être courtes et les questions des journalistes furent axées sur les programmes, moyens et outils qu'allaient proposer les députés, une fois élus, pour régler des problèmes dans différents domaines. Un exercice que devaient maitriser un minimum des personnes qui se présentent pour un poste aussi important et sensible que celui qui consiste à représenter le peuple adopter les lois qui vont régir sa vie. Oui mais…
A toutes les questions ou presque, les candidats ont eu la fâcheuse tendance à répondre dans le vague. Pour dire ce qui n'allait pas, tout le monde a répondu présent. Pour dire comment devaient être les choses, selon eux, ils n'ont pas hésité, allant jusqu'à servir des « programmes » utopiques, des réformes partout, des écoles modernes dans toutes les régions aux CHU équipés de matériel moderne dans les quatre coins du pays et des solutions à la limite du réalisable pour lutter contre le chômage et encourager les jeunes à lancer leurs propres projets. Pour ce qui est d'expliquer comment ils allaient entreprendre tout cela, là, il n'y avait plus personne.
Si certaines des « idées » énoncées dans les débats étaient bonnes à creuser, les journalistes qui les avaient animés ont eu beaucoup de mal à soutirer aux candidats des réponses concrètes, voire des réponses tout court. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Très souvent, ils ont eu à préciser que les questions portaient sur un programme et pas sur le principe que les choses devaient changer, sur cela tout le monde était d'accord. Mais non. A chaque tentative de « recadrage » les candidats s'enlisaient plus et encore dans les méandres de leur ignorance se couvrant parfois de ridicule.
A la soirée du premier débat, les Tunisiens assistaient affligés à des scènes gênantes où ceux qui sont censés les représenter, décider de leur avenir, se plantaient en beauté sur des questions aussi importantes que celles relatives au déficit de la balance commerciale ou encore à la nécessité d'instaurer une bonne gouvernance.
Sur le programme pour instaurer l'équilibre de la balance commerciale, le candidat du Courant Al Mahabba, après avoir demandé qu'on lui répète la question a avoué qu'il ne savait pas ce que voulait dire balance commerciale. Pas du tout gêné, il a estimé qu'il n'avait pas à le savoir pour devenir député, qu'il avait d'autres compétences et qu'il pourrait faire appel à des spécialistes pour traiter de la question. Pour résumer, monsieur le futur député devra faire appel à des experts pour qu'ils lui expliquent ce que veut dire balance commerciale, les impacts de son déficit et les enjeux de son équilibre, dans un pays qui traverse une crise économique sans précédent et dont les défis sont essentiellement économiques. Comment, pourquoi et selon quels critères ce candidat a estimé qu'il pourrait faire un bon député, on est en droit de se le demander…
Il n'est pas le seul à avoir vécu, ce soir-là, un grand moment de solitude. La candidate d'Amal Tounes, n'a guère fait mieux. Sur la question du programme prévu sur la bonne gouvernance et la gestion des fonds publics, la candidaté a aussi foiré l'exercice. « La bonne gouvernance doit être pratiquée par des politiciens qui savent ce que veut dire bonne gouvernance » lançait-elle d'un air résigné, « oui alors que veut dire bonne gouvernance » avait rebondit le journaliste… « Bonne gouvernance c'est bonne gouvernance » répondait la candidate en souriant comme un élève pris en flagrant délit de ne pas avoir appris ses cours la veille.
Le pire dans tout cela, c'est qu'il a fallu écouter ces personnes jusqu'au bout, c'est que les voyant patauger on ne pouvait que songer avec tristesse à ce qui nous attend après le 6 octobre. Comme pour les débats de la présidentielle, c'est sur les réseaux sociaux que sont allés se réfugier les Tunisiens et noyer leur déception dans les posts des plus drôles aux plus fatalistes qui, somme toutes, demeurent tristes.
Oui l'exercice était noble et louable mais qu'est-ce qu'il n'était pas beau à voir. Oui le processus démocratique est bien enclenché chez nous et oui nous en sommes fiers mais comme on aurait voulu l'être davantage devant des candidats balèzes, qui maitrisent leurs dossiers, qui apportent des réponses concrètes, qui proposent des idées intelligentes et portent leurs causes avec conviction. Nos élus, ne devraient-ils pas être les meilleurs d'entre nous ?....