Commentant les propos que le chef du gouvernement a tenus lors d'un entretien accordé à la chaîne télévisée Attessia, dans la soirée du dimanche 14 juin, l'expert économique Moez Joudi estime que l'interview ne laisse pas entrevoir une approche économique développée et déclinée en termes macro et micro-économiques. Cependant, il a considéré que le chef du gouvernement a «bien abordé» le sujet des entreprises publiques, une question fondamentale pour la période à venir. Un flou concernant le plan de relance «Le premier point qu'on peut déceler, c'est qu'on ne sent pas que le chef du gouvernement a une vision qui émane d'un diagnostic profond de la situation économique. En effet, lorsqu'on traverse une crise, il faut savoir faire de la gestion de crise. Or, hier en toute objectivité, je n'ai pas senti que le chef du gouvernement est en train de faire de la gestion de crise. Le chef du gouvernement connaît les problèmes mais le diagnostic économique doit être plus profond en termes d'indicateurs chiffrés, au niveau macroéconomique, c'est-à-dire la croissance, l'inflation, l'endettement, le chômage mais aussi au niveau microéconomique et sectoriel, notamment les entreprises, les producteurs, les investisseurs... Par contre, ce qui a été perçu dans l'interview, ce sont les problèmes qui ont été énumérés, révélés et dont la majorité est désormais connue, comme par exemple le sujet de l'endettement. En même temps, on n'a pas vu de propositions qui s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie et d'une vision globale», a souligné Joudi. Il a ajouté que le chef du gouvernement aurait révélé les grandes lignes et les objectifs du plan de relance même si ce dernier va être présenté au Parlement. «Il aurait dû nous faire sentir que ce plan commence à voir le jour et qu'il comporte des orientations claires», a-t-il noté. Les entreprises publiques : la force de frappe Au sujet des entreprises publiques, Moez Joudi estime que le chef du gouvernement a bien abordé le sujet et que sa position est claire. Il a précisé, dans ce contexte, que les parties prenantes à ce sujet, notamment l'Ugtt, doivent être plus compréhensives et plus coopératives. «La situation à laquelle on est arrivé n'est plus acceptable. Plusieurs entreprises publiques sont en faillite à cause des sureffectifs, des dépenses, des augmentations salariales, de la mauvaise gouvernance, d'une gestion publique très lourde et compliquée à cause de ces parties prenantes qui ont imposé leurs diktats et leurs lois. On se retrouve, désormais, avec des entreprises qui étaient jadis bénéficiaires, mais qui constituent, aujourd'hui, un gouffre pour l'Etat tunisien. l'Etat doit trancher sur cette question et voir quelles sont les entreprises stratégiques qu'il faut garder par l'Etat et quelles sont les entreprises — faut-il le dire sans tabou — à privatiser», a-t-il souligné. En ce qui concerne la décision de suspendre l'injection des fonds aux entreprises publiques, Moëz Joudi a expliqué que le chef du gouvernement a raison parce qu'il s'agit d'entreprises où il n'y a pas de réformes et où on ne cesse de demander des fonds. «Tunisair était bénéficiaire en 2010. Elle monopolise presque le ciel, il n'y a pas de concurrence frontale au niveau du marché local, comment cela se fait que cette entreprise soit en faillite? Ça ne sert à rien d'y injecter des fonds parce que c'est un gouffre. Si on ne restructure pas cette entreprise, ça sera de l'argent dilapidé à chaque fois. Aussi, il y a des entreprises et des secteurs à privatiser comme l'industrie du tabac», a-t-il expliqué. La deuxième question qui a été soulevée par le chef du gouvernement et qui a été étayée par notre interlocuteur, c'est le rôle de l'Etat dans l'économie. «Le chef du gouvernement a affirmé que l'Etat ne peut pas et ne doit pas tout faire dans l'économie. Moins d'Etat, mieux d'Etat. Il ne s'agit pas d'une disparition ou d'un affaiblissement mais une présence plus efficiente de l'Etat. Il doit assurer les fonctions régaliennes, concevoir et appliquer les lois, collecter et redistribuer l'impôt et gérer les secteurs vitaux, comme la santé, l'éducation», a-t-il expliqué. Par ailleurs, Joudi estime que les décisions qui consistent à retirer les bons de trésors et à fuire les dépôts des banques sont à revoir étant donné que ces dernières ne seront plus en mesure de financer l'activité économique. Arrêter l'endettement est une contrainte En outre, Joudi considère que la décision d'arrêter l'endettement est en effet une contrainte, étant donné que la Tunisie a atteint le seuil d'insoutenabilité de la dette. «Le taux de l'endettement public qui a été annoncé lors de l'interview n'est pas juste (60%). Aujourd'hui, le taux de l'endettement public global est de 75%. En 2011 on était à 40%, on est passé à 75%. D'ici la fin de l'année, le taux peut atteindre les 80%», a-t-il noté. Et d'ajouter: «Aujourd'hui, on n'a plus les mêmes marges de manoeuvre et la dette tunisienne devient de plus en plus insoutenable. On n'a pas fait les réformes, on n'a pas répondu à nos engagements par rapport aux bailleurs de fonds, donc, ils sont en train de restreindre les crédits à la Tunisie. En même temps, conformément à la loi de finances 2020 nous avons besoin de 12 milliards de dinars d'endettement dont 8,8 milliards de dinars d'endettement extérieur. Si on a décidé d'arrêter l'endettement et qu'en face on a une baisse des recettes fiscales puisqu'on va avoir une croissance négative, on risque alors d'avoir une cessation de paiement à l'étranger et ça sera une première en Tunisie, à moins qu'on compte rééchelonner la dette. Il faut dire que jusque-là il n'y avait pas une annonce de plan de rigueur, une compression des dépenses publiques (mise à part la possibilité de réduire les salaires des fonctionnaires et des retraités qui a été annoncée lors de l'entretien) ou des mesures qui sont prises dans ce sens», a-t-il conclu.