La publication récente du rapport intitulé « Les libertés au temps du coronavirus. La Covid-19 voile, la Covid-19 dévoile », de l'Association tunisienne de défense des libertés individuelles (Adli), prouve que la crise sanitaire du coronavirus n'interpelle pas que les médecins et autres virologues. Elle interroge également des chercheurs dans le domaine des droits de l'homme. Dès la propagation du virus, Michelle Bachelet, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, a insisté sur le fait que les confinements, quarantaines et autres mesures semblables visant à contenir et combattre la propagation de la Covid-19 doivent toujours être menés « en stricte conformité avec les normes relatives aux droits de l'homme et de manière nécessaire et proportionnée au risque déterminé ». L'Association tunisienne de défense des libertés individuelles, formée d'un groupe de juristes, continue avec ce rapport de plus de 80 pages, rédigé par le Pr Wahid Ferchichi, Dr Mohamed Amine Jelassi et Mohamed Anoir Zayani, à scruter l'état de nos libertés, à démontrer leur interdépendance et leur indivisibilité et à militer pour les développer. Les femmes et les enfants, parmi les victimes de la violence Avec l'installation du couvre-feu le 18 mars et le confinement général le 22 du même mois, une série de mesures inédites en Tunisie ont commencé à s'élargir. Elles ont touché l'essence même des libertés telles que la liberté de circulation, le droit à la santé, la liberté de culte, la liberté de réunion et de manifestations pacifiques, le droit à l'exercice du culte, le droit à un procès équitable et la liberté de la presse... Ce qui va à l'encontre de plusieurs dispositions de la Constitution de janvier 2014. « Les droits et les libertés se sont retrouvées victimes de la situation épidémiologique, car il y a eu de nombreuses atteintes injustifiées, notamment à l'égard des groupes sociaux les plus vulnérables sur le plan économique et social, ce qui indique une fois de plus le lien étroit entre tous les droits et toutes les libertés », notent les auteurs du rapport. Par ailleurs, l'Adli a remarqué que les femmes constituaient une des catégories les plus exposées à la violence durant cette période et que la violence conjugale, en particulier, avait considérablement augmenté. En outre, la situation épidémiologique a rendu plus difficile la situation de certains groupes, « tels que les réfugié(e)s et les demandeurs d'asile, les migrant(e)s, les victimes de traite ainsi que les personnes Lgbt », constate le rapport. Afin d'évaluer les mesures exceptionnelles décidées par les autorités, dans un contexte politique marqué par le populisme, ainsi que l'impact de ces mesures sur les libertés individuelles, les auteur ont eu recours aux données et informations telles que relatées par des journalistes locaux et des communiqués publiés par des ONG locales et internationales et par l'ONU. 3.484 infractions liées au non-respect du confinement Parmi les droits et libertés les plus touchés, l'étude cite la liberté de circulation et le droit d'accès aux soins médicaux sans discrimination aucune. Ainsi, le Rapport relève qu'entre le 22 et le 26 mai 2020, les unités de la Garde nationale ont enregistré 3.484 infractions liées au non-respect du confinement et 213 autres liées à la violation du couvre-feu. La valeur amendes infligées aux contrevenants est estimée à 185 mille dinars selon le porte-parole de la garde nationale. Pourtant, le décret relatif au confinement et aux sorties durant la période du confinement n'a été publié que le 23 mars 2020 au Journal officiel de la République tunisienne. Se référant à un article paru sur le site Nawaat du mois d'avril pour revenir sur la gestion sécuritaire de la crise : «des dépassements policiers ont été relevés dès le début de l'imposition du confinement. Certains membres des forces de sécurité ont fait usage de violences verbales et physiques sans justification. Et même des activistes collectant des médicaments n'ont pas été épargnés». En outre, le coronavirus a démontré encore une fois que les infrastructures publiques sanitaires étaient devenues archaïques, démunies de services compétents et inégalitaires entre les régions. Le 10 avril 2020, comme le relève le Rapport, des organisations de la société civile tunisienne ont exprimé leur préoccupation face à l'extrême précarisation des plus vulnérables et en particulier ceux dont le statut les prive du droit à la santé : les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile présents sur le territoire tunisien. Des ONG alertent sur les situations de précarité Dans sa dernière partie, le Rapport retrace les différentes initiatives menées par des acteurs de contrôle de l'action publique tels que les instances indépendantes (Inlucc, Haica, Inpt...) et la société civile, et dont le but est la prévention des violations des droits humains et la protection des catégories vulnérables en période de crise sanitaire. La société civile s'est évertuée, selon l'étude de l'Adli, à trouver des réponses à des situations d'urgence lors de la crise sanitaire, aidant les autorités à prendre en charge les enfants et les femmes victimes de violence ou encore la communauté subsaharienne et les catégories les plus pauvres et les plus précaires de la société. Et alertant les instances officielles, à l'aide de communiqués et de plaidoyers sur les situations d'urgence, notamment dans les prisons ou dans les centres de santé reproductive. Ainsi, craignant la propagation du virus dans les lieux de détention, le 16 mars 2020, la Ligue tunisienne des droits de l'Homme a appelé à libérer provisoirement tous les détenus de la prison de Bulla Regia vu la situation alarmante dans cette structure pénitentiaire. Le 31 mars 2020, l'Organisation contre la torture en Tunisie (Octt) a publié un communiqué dans lequel elle réclame le droit des détenus à accéder aux soins à l'ère de la crise sanitaire à laquelle fait face la Tunisie. L'Octt a appelé les autorités de tutelle à s'assurer des conditions d'hébergement des personnes privées de leur liberté. Le 8 avril 2020, l'association Damj a lancé un appel urgent aux dons au bénéfice de la communauté Lgbtqi++. En effet, le coronavirus a jeté beaucoup de ses membres dans une grande précarité socioéconomique. Le 9 avril 2020, dans un communiqué sur initiative du Groupe Tawhida signé par d'autres organisations de la société civile, les signataires ont lancé un « appel urgent aux autorités publiques pour assurer la continuité de l'accès aux services de la santé sexuelle et de la reproduction » durant le couvre-feu et le confinement généralisé. Le 27 mai 2020, Amnesty international a appelé les autorités tunisiennes à abandonner les poursuites contre Emna Chargui, la jeune internaute accusée d'avoir partagé sur Facebook une sourate coranique détournée. Amnesty International estime qu'il s'agit là d'un exemple illustrant la poursuite d'atteinte à la liberté d'expression en Tunisie. En guise de conclusion, le Rapport constate des dépassements de la part des pouvoirs publics et même de la part des politiciens qui se sont montrés indifférents, voire hostiles, au respect des libertés individuelles au temps du coronavirus. « Quant aux autorités, qu'il s'agisse des autorités centrales ou locales, elles ont, dans leur majorité, pris des mesures contraires à la Constitution et surtout à son article 49. Il s'est avéré que les mesures exceptionnelles adoptées en pleine crise sanitaire n'ont respecté ni les conditions de nécessité et de proportionnalité, d'une part, ni l'appui sur un fondement législatif, d'autre part », ajoutent les auteurs de l'étude.