Une jeunesse qui manifeste, un pays qui régresse, un Etat qui défaillit : comme un janvier 2011 qui repointe. Ajoutons-y nos impuissances et nos ignorances devant la pandémie . Etrange. En janvier 2011, une dictature touchait à son terme. Là c'est l'inverse, une démocratie. Pourquoi ? Pourquoi les contraires produisent-ils, ainsi, les mêmes effets ? Surtout, à quoi le devons-nous ? Spécialement à qui ? Des années maintenant, bientôt la moitié d'une «révolution», que les réponses se suivent, s'opposent, se relaient. Aucune, pourtant, ne convainc, ne rassemble, ne suffit. Il y a d'abord ce qu'invoquent les partis et les idéologies. Deux tendances, en fait, les républicains modernistes et les conservateurs religieux. Les premiers imputent tout à Ennnahdha : les gouvernements et les échecs successifs, la convoitise du pouvoir, l'islamisation de la société. Les seconds rappellent à leur combat et à leurs sacrifices sous la tyrannie et aux libertés acquises aujourd'hui. Vrai que le mouvement Ennahdha a gouverné dix ans sans résultat...Vrai qu'il cherche à contrôler, à accaparer. Vrai qu'on ne lui a connu nul programme, nulle réforme utile au pays. Mais il faut reconnaître que ses adversaires politiques ne brillent pas par leur réussite, non plus. La gauche la plus virulente et la plus critique ne fait même plus partie du Parlement et, à ce jour, est quasiment inactive, complètement désunie. Les centristes modérés souffrent, eux, du mal chronique de ne jamais unir leurs forces. Conséquence : ils stagnent dans la minorité. Ils ne décident jamais de rien. Il y a, ensuite, la réponse des élites. Politologues, sociologues, historiens . Les politologues insistent sur notre inexpérience démocratique. C'est peu dire devant ce qui se passe. Plus juste, peut-être, est de dire que nos gouvernants actuels craignent la démocratie, plus précisément qu'ils la fuient. Les instances constitutionnelles non encore nées, renouvelées ou régularisées l'indiquent en tout cas. Les partis au pouvoir bloquent l'avènement du Conseil constitutionnel, simplement parce qu'ils refusent sa suprématie. Et c'est aussi ce qu'ils réservent à la Cour des comptes et à la Haica. Pendant ce temps, la non-transparence infeste l'économie du pays et la liberté de presse est de nouveau sous menace. Les causes apparaissent plus subtiles chez les sociologues et les historiens. À leur sens, les révolutions se ressemblent en tout temps, prometteuses d'emblée, paradoxales souvent, affaiblies tantôt,resurgies et prospères en bout de chemin. L'exemple de la révolution française est la citation majeure. La terreur dès 1792, le directoire et Napoléon, la restauration et l'Empire, la IIIe République pour, enfin, la «bonne récolte», les « vrais fruits cueillis» deux cents ans plus tard sous la gauche et Mitterrand. Théorie imposante à n'en pas douter. Respectable et vérifiable. Reste que le pire est encore vécu, ressenti en Tunisie. Le chômage, la faillite, les institutions branlantes, les désillusions, ajoutés aux périls de la santé. Les Tunisiens voudraient comprendre sans plus tarder. Ici et maintenant. Et à cela sans doute faudra-t-il s'en tenir aux explications immédiates. Le bon sens est dans l'immédiat. La jeunesse tunisienne a bel et bien fait sa révolution, il y a une dizaine d'années. Pure et prometteuse. Mais elle en a vite été dépossédée. Des «politiciens» de tout bord s'en sont emparée. Raflant l'ensemble du «butin». Argent, pouvoir, jusqu'à la façon de se faire élire et réélire. Et cette «caste»-là, nous l'avons élue et réélue. Et à se fier à la pauvreté et à l'analphabétisme qui culminent, nous la réélirons encore . Pour l'heure, du moins, voilà toute l'explication.