L'Institut français de coopération (IFT) a rendu un vibrant hommage lundi au militant de gauche tunisien et écrivain Gilbert Naccache, disparu le 26 décembre dernier à l'âge de 82 ans. Le débat a réuni sa femme, Azza Ghanmi, et plusieurs de ses compagnons de route et amis autour de son parcours, de ses idées et de ses livres. Hichem Abdessamad, historien, Sadok Ben Mhenni, militant des droits humains, Meriem Zghidi, femme de culture et fille du militant communiste Salah Zghidi, Mohamed Salah Fliss, écrivain et ancien prisonnier politique, Mohamed Lamine Nsiri, éditeur...toutes ces personnalités ont en commun une sensibilité de gauchen, ainsi qu'une amitié inconditionnelle à l'égard de Gilbert Naccache. Papy, pour les intimes. Ils ont été réunis par l'Institut français de coopération lundi après-midi pour évoquer la vie et l'œuvre de ce monument de la résistance, qu'est Naccache. Les intervenants ont été rejoints par Azza Ghanmi, l'épouse féministe de Papy, qui a pris part au débat à partir de Paris via le Net. Les échanges ont été modérés de main de «maîtresse» par Amel Smaoui, dont le père Ahmed Smaoui a fait lui aussi partie de la première génération du mouvement Perspectives. Pour la gauche, un passeur «Jamais militant n'a été aussi généreux, ni intrépide que Gilbert Naccache», avait dit de lui son quasi alter ego, l'éditeur Noureddine Ben Kedher, qui a partagé avec lui les années de prison à Tunis et à Borj Erroumi. Une dizaine en tout, de la fin des années 60 à la fin des années 70. Sa force ? Avoir marqué pratiquement toutes les générations de la gauche tunisienne, y compris celle de la révolution et de l'après 14-Janvier, qu'il a fréquentée, soutenue et accompagnée, faisant ainsi acte de passeur. «Quand je l'ai connu dans les années 80, Gilbert Naccache a tenu les promesses de mes fantasmes. Dur dans les débats, il était d'une grande intransigeance théorique, d'une grande fidélité au marxisme malgré une certaine distance prise avec le temps quant à ce courant. Les querelles autour des idées avec Papy sont pratiquement un rite de passage pour les nouvelles recrues de la gauche», témoigne Hichem Abdessamad. Meriem Zghidi confirme cette capacité de Naccache à garder une fraîcheur éternelle: «Nous avons perdu un des jeunes de la révolution !». img data-attachment-id="88868" data-permalink="https://lapresse.tn/88865/projet-moodha-okhra-initiateur-de-la-mode-eco-responsable-en-tunisie-leco-mode-engagee/clt8/" data-orig-file="https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?fit=850%2C491&ssl=1" data-orig-size="850,491" data-comments-opened="1" data-image-meta="{"aperture":"0","credit":"","camera":"","caption":"","created_timestamp":"0","copyright":"","focal_length":"0","iso":"0","shutter_speed":"0","title":"","orientation":"0"}" data-image-title="clt8" data-image-description data-medium-file="https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?fit=300%2C173&ssl=1" data-large-file="https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?fit=850%2C491&ssl=1" class="alignnone size-full wp-image-88868 jetpack-lazy-image" src="https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?resize=850%2C491&ssl=1" alt width="850" height="491" data-recalc-dims="1" data-lazy-srcset="https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?w=850&ssl=1 850w, https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?resize=300%2C173&ssl=1 300w, https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?resize=768%2C444&ssl=1 768w, https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?resize=519%2C300&ssl=1 519w" data-lazy-sizes="(max-width: 850px) 100vw, 850px" data-lazy-src="https://i1.wp.com/lapresse.tn/wp-content/uploads/2021/02/clt8.png?resize=850%2C491&is-pending-load=1#038;ssl=1" srcset="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" Sadok Ben Mhenni relate un rêve de cet utopiste assumé : «Construire une maison sans clôture et sans clés, ouverte à tout le monde». Sa femme, elle, parle de Naccache en tant que «marginal», un trait de caractère «qu'il a servi, accepté et revendiqué. D'abord en tant que juif, puis en tant que juif athée et enfin en tant qu'homme libre ayant fini par rejeter les cadres, que ce soit le communisme, le trotskysme ou encore Perspectives». Une plume enlevée vibrante de vie Auteur de «Cristal» (1982), «Le Ciel est par-dessus le toit» en 2005, «Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?» (2009), « Vers la démocratie ?» 2011, «Le Manchot» 2013, «Il pleut des avions» (2017) et, enfin, «Comprendre m'a toujours paru essentiel», (janvier 2021) «Ana...Chroniques» (janvier 2021). Sa plume, enlevée et vibrante de vie est toujours subversive, quel que soit le genre qu'il expérimente : le récit, le roman, la poésie, la réflexion, l'article de presse, l'interview. Fou de Verlaine, ses amis lui chuchotaient de la poésie jusqu'à sur son lit de mort. C'est ainsi qu'agonisant, il souriait dans son profond coma. Son chef-d'œuvre reste « Cristal », un récit, puissant et très personnel, paru en 1982, dont les divers chapitres ont été consignés sur l'emballage des paquets de cigarettes de la marque Cristal. Ancien trotskyste, membre du PCT, Gilbert Naccache adhère tardivement au groupe Perspectives/El Amel Ettounssi, engagement qui va lui valoir deux arrestations en 1968 et en 1973. Papy revient dans cet ouvrage sur les péripéties de son militantisme politique et sur ses souvenirs de la vie quotidienne dans les geôles de Bourguiba. A sa sortie de prison en août 79, il termine «Le récit sandwich», comme le décrit Azza Ghanmi, son épouse. Puisqu'un roman, un récit et des réflexions sur la vie de couple se croisent, s'enchevêtrent et se complètent dans ce livre traduit en arabe en 2018 par Mohamed Salah Fliss. L'emprise des idées Gilbert a toujours rêvé de voir «Cristal» traduit en arabe. Il l'a toujours réclamé, haut et fort, comme à son habitude, à ceux dont il était proche. «Je finis par lui proposer d'entreprendre cette tâche, qui me paraissait difficile. Car j'avais peur de prendre des libertés par rapport au texte initial, de le trahir, de m'en écarter et de lui faire subir une interprétation plus moderne. Le premier jet a mis beaucoup de temps pour être remis à deux universitaires en vue d'une révision de la forme et du fond. A sa parution, Gilbert jubilait. Je crois que c'était là un moment des plus heureux de sa vie», témoigne Mohamed Salah Fliss, compagnon des années de plomb de Papy et lui-même auteur d'un récit de prison. Hichem Abdessamad revient sur la «passion des idées» de la génération Perspectives. Et de cette capacité d'analyse très poussée, qui a amené Gilbert Naccache le premier à l'écriture. L'ont suivi les autres: Mohamed Salah Fliss, Aziz Krichen, Fethi Belhadj Yahia, Ezzedine Hazgui, Sadok Ben Mhenni, Mohamed Kilani, Zeineb Charni, Leyla Blili, Nouri Bouzid, Tahar Chagrouche, Hechmi Troudi... Ce n'est pas un hasard non plus que Papy fonde une maison d'édition en 1981, «Salammbô», que son ami Noureddine Ben Kedher devient l'un des piliers des Editions Cérès, que Sadok Ben Mhenni travaille dans cette même maison. Jusqu'au bout, les idées auront une emprise sur les femmes et les hommes de Perspectives/El Amel Ettounssi, qui dans les années 60 et 70 ont fait partie d'une jeunesse éclairée, politisée, éduquée et très connectée sur les idées de ces fertiles années où le rêve de révolution hantait les 18-25 ans du monde entier. «Pour combattre cette espèce de seconde mort, pour rendre ce qui caractérise l'humanité, à savoir cette chaîne ininterrompue de connaissances à travers les générations, je n'ai que la parole, la parole écrite surtout», note Naccache dans l'avant-propos de «Qu'as-tu fait de ta jeunesse ?». «La quête d'humanité», un autre mot, qui lie Mohamed Salah Fliss à Papy et aux autres, les «camarades» du bagne de Borj Erroumi en particulier. «Nous autres, anciens prisonniers politiques, avons saisi ce qu'il y a de formidable dans chacun de nous, c'est son volume d'humanité», confie le traducteur de «Cristal». Akram Adouani, jeune réalisateur vivant et travaillant au Canada, a fini un documentaire sur Gilbert Naccache quelques jours avant son décès : «Je rêvais d'une grande projection en présence de Papy. Malheureusement, la première se déroulera probablement lors des prochaines JCC, mais sans lui. J'aimerais faire plus pour montrer tout ce que cette génération a pu faire et tout ce qu'elle a pu sacrifier pour ses valeurs et idées !».