Hédi Ben Abbès, ancien secrétaire d'Etat chargé des affaires de l'Amérique et de l'Asie « La situation économique en Tunisie deviendrait plus critique tant que la crise politique continuerait de se complexifier et que la Tunisie a atteint aujourd'hui un point de non-retour et sombrera dans l'inconnu. Nous paierons tous le prix de la négligence de notre travail, de la recherche de l'intérêt public au cours des années. Nous paierons le prix de la corruption morale, financière et politique. Nous paierons le prix de l'insouciance, du populisme et du chantage d'Etat, que ce soit de la part du peuple ou des syndicats ou de la part de politiciens corrompus, voyous, incompétents et non patriotiques. Les organisations internationales et financières connaissent avec précision l'ampleur de la détérioration de la situation politique et socioéconomique en Tunisie. Aucun Etat ou institution bancaire n'accordera des prêts à la Tunisie tant que le pays passera par ce tunnel suicidaire, et même s'ils le font, ce sera dans des conditions très dures et nécessaires qui nécessitent la présence de responsables politiques et de syndicats compétents. Ezzeddine Saidane, expert économique « Depuis 2011, les grands équilibres de la Tunisie avaient commencé à se dégrader avec des ratios qui se détérioraient d'année en année. Un de ces ratios concerne effectivement le taux d'épargne nationale. Ce taux, qui était donc entre 22 et 25 % du PIB avant 2011, s'est mis à baisser de manière rapide pour atteindre 6% du PIB en 2019 et 1,6 % en 2020. Oui, vous avez bien lu 1,6% du PIB, soit un taux très proche de zéro. La Tunisie n'épargne plus. La Tunisie est exsangue. La capacité d'épargner de l'Etat, des entreprises et des ménages est devenue soit négative, soit proche de zéro. Et si l'épargne nationale... il n'y en a plus. Qu'est-ce que cela signifie? D'abord, la Tunisie n'a plus de ressources propres pour financer ses investissements. Et elle ne peut quasiment plus emprunter à l'étranger à cause d'un niveau d'endettement insoutenable, car dépassant ses capacités de remboursement. La Tunisie ne peut donc plus investir, réaliser de la croissance économique, créer des emplois et des richesses nouvelles. La Tunisie est donc prise au piège de ses choix politiques, économiques, financiers et sociaux depuis 2011. Elle est aussi prise au piège des choix de politique monétaire de sa Banque centrale. Il s'agit là notamment des choix en matière de politiques de taux d'intérêt, de taux de change et de supervision bancaire. Ensuite, nous savons que, dans toute économie, il existe trois principaux moteurs de croissance : l'investissement, les exportations et la consommation. Le moteur de l'investissement est quasiment à l'arrêt. Celui des exportations tourne au ralenti. C'est le moteur de la consommation qui a tiré un peu l'économie depuis 2011, et ce, aux dépens justement de l'épargne. Maintenant que l'épargne nationale est épuisée, même le moteur de la consommation ne va plus être en mesure de tirer l'économie tunisienne. Bien qu'elle soit prise au piège de son endettement excessif, la Tunisie doit malheureusement continuer à emprunter lourdement, ne serait-ce que pour financer son service de la dette et pour équilibrer un tant soit peu ses finances publiques. Etant dans une situation économique et financière très difficile, la Tunisie dispose d'une capacité de négociation très réduite avec les bailleurs de fonds étrangers, et ce, quelle que soit leur nature... ». Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale « La Tunisie ne cherche pas actuellement à restructurer sa dette, qui avoisine les 90% du PIB, la vraie priorité pour le pays est d'aboutir à un accord sur un programme de réformes et de financement avec le Fonds monétaire international. J'estime que les discussions avec le Fonds devraient aboutir au courant du mois de mai. Le pays doit rembourser un milliard de dollars, garanti par les Etats-Unis, et qui arrive à maturité en juillet et août prochains. La Tunisie est en pourparlers avec des prêteurs bilatéraux, dont le Qatar, pour des crédits privés. Pour le gouverneur, le pays cherche à se financer à travers des accords bilatéraux et multilatéraux (institutions financières internationales) et non à travers le marché financier international (réputé aux conditions plus chères, surtout que la Tunisie a un mauvais rating). Le pays a opéré une augmentation de 5% des prix des hydrocarbures dernièrement pour combler, un tant soit peu, le déficit budgétaire alors que les discussions avec le FMI tablaient sur une augmentation de 2%. La Tunisie doit faire face à plusieurs défis dont notamment la maîtrise de l'inflation, surtout dans un contexte de hausse des taux des obligations US et de hausse des prix internationaux des matières premières. La Banque centrale fera tout pour maintenir la crédibilité de sa politique monétaire afin de baisser l'inflation et maintenir la stabilité du taux de change du dinar qui affecte l'endettement du pays. La priorité des priorités est d'atteindre un accord avec le FMI à même de rétablir la croissance économique du pays qui permettrait la prise en charge des ménages vulnérables et la lutte contre le chômage ».