Le secteur culturel vit sans doute ses pires moments, fragilisé des années durant par les politiques et leur laxisme, les blocages administratifs , un budget très réduit et surtout mal géré et l'absence de véritables stratégies sur le long terme, faisant de lui un secteur vitrine qui se contente de faire du surplace. La crise sanitaire, qui a mis en pause l'activité culturelle, est venue mettre à nu tout cela et donner malheureusment le coup de grâce. Divisés et sans véritables solutions pour sortir de la crise, les artistes professionnels survivent à coups d'aides qui, la plupart du temps, tardent à venir, regrettant l'absence de réelles garanties juridiques qui auraient pu atténuer le gris du tableau. Des réformes dans ce sens auraient pu, selon certains, sauver la mise. Remis au-devant de la scène, le projet de loi sur le statut de l'artiste qui se veut garant de la liberté de création, valorisant le rôle de l'artiste dans le processus de développement et préservant les droits culturels, a été présenté au Parlement en 2017 et jugé, à l'époque, liberticide avec de nombreux articles en contradiction avec la Constitution. Révisé, il a été adopté, le 16 juillet 2021, par les membres de la Commission des jeunes, des affaires culturelles, de l'éducation et de la recherche scientifique de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) et séjourne actuellement à la dernière ligne droite de l'Assemblée nationale. Et comme la loi ne serait jamais capable de se saisir avec précision du meilleur et du plus juste pour tous, et de prescrire le plus utile, ce projet continue à diviser les acteurs et autres protagonistes de la scène artistique et culturelle. L'art échappant par nature aux partis pris simples….La Presse continue à donner la parole à différents artistes pour s'exprimer autour de la question. Mohamed Ali Kammoun, compositeur et pianiste : La volonté politique fait défaut Le secteur de la culture est celui qui a été le plus touché par la crise sanitaire, pourtant on aurait pu saisir cette occasion pour proposer des solutions à la crise que vit le secteur depuis des années. Comme par exemple pour les budgets alloués aux festivals suspendus à cause de la pandémie, on aurait pu les employer pour encourager la création artistique et pas dans le sens d'aides sociales, cela aurait pu booster la dynamique culturelle, ou encore favoriser et encourager les résidences artistiques, lancer des éditions exceptionnelles et spéciales pour le fonds d'appui à la création, permettre, ainsi, à l'artiste de continuer à travailler et à produire. Le problème du secteur n'est pas un problème de budget, loin de là, les moyens sont disponibles et des solutions ne manquent pas, mais c'est, plutôt, la volonté qui fait défaut. Si l'artiste était protégé par des lois qui le mettent à l'abri, lui permettant de vivre dignement, on aurait pu éviter la situation catastrophique pour bien des métiers artistiques. Mais malheureusement ce n'est pas le cas et le projet de loi sur le statut de l'artiste, dans sa forme actuelle, ne garantit pas cela , c'est pour cela que, personnellement, je le rejette complètement. Le plus grand problème est que la notion d'intermittence n'est pas reconnue ni prise en considération. Ce projet ne permet pas à l'artiste de gagner en autonomie et de voler de ses propres ailes, dépendant, toujours, du bon vouloir du ministère de tutelle. Amine Boussoffara, photographe : Une loi ne pourra jamais satisfaire tout le monde Pour ce qui est des arts plastiques, le principal point de discorde, voire de tension, est celui de la carte professionnelle qui est la condition réglementaire d'accès à la professionnalité pour les artistes. Un artiste professionnel étant communément défini comme une personne qui vit uniquement de son art, les amateurs, qui, donc, exercent un autre métier en dehors de leurs pratiques artistiques, ne pourront avoir les mêmes avantages que les professionnels. L'octroi de la carte professionnelle permettra de mieux organiser le métier, de faciliter un tant soit peu les démarches administratives et tout simplement de permettre à l'artiste d'être reconnu au regard de la loi, ce qui constitue une garantie et une sécurité pour l'avenir.Personnellement je souligne l'importance de ce point qui divise bien du monde, étant artiste photographe, à ne pas confondre avec un photographe de plateau ou de studio, j'ai galéré pour pouvoir être reconnu en tant que tel. J'ai eu au début de ma carrière pas mal d'incidents et autres désagréments en rapport à cela et je ne pouvais pas, tout simplement, exercer librement mon art. Le problème des arts plastiques et de la culture en général est plus profond que cela: corruption, copinage, lenteur administrative, etc; les réformes il faudrait les apporter aussi et surtout à ce niveau. Mais certains sont contre le changement et veulent maintenir l'aiguille au milieu. Pour le moment, à mon avis, il faut que ce projet passe dans sa globalité; après on peut agir et apporter des améliorations. Encore faut-il rappeler que nulle loi ne peut avoir d'efficacité s'il n'y a pas les conditions nécessaires à son application dans l'équité. Majdi Zarrai, musicien : On ne peut construire sur des soubassements défaillants Plus qu'un avis c'est un coup de gueule que lance le jeune musicien qui, depuis quelques années, a rejoint, en tant que percussionniste et joueur de Gumbri, le groupe marocain «Nass El Ghiwen». Dans le secteur de la musique on ne peut prétendre à de vraies réformes tant que l'artiste ne peut garantir la protection de ses droits d'auteur. Son œuvre continue à être utilisée à tout va et de différentes manières sans qu'il puisse prétendre à des gains ou le cas échéant, à des indemnisations. Le système est fait pour dégoûter les jeunes artistes et les blaser, l'on se retrouve à travailler sans contrat, sans cachet prédéterminé par un barème, le mot d'ordre c'est copinage et pots de vin…Tout est à reconstruire, tout est à assainir. Le projet de loi sur le statut de l'artiste a été fait sur mesure pour renforcer la mainmise de l'Etat sur l'artiste, il a été fait pour servir les intérêts des uns aux dépens des autres. Ce projet manque, par exemple, de points plus détaillés sur différentes questions, en l'occurrence celles relatives à la sécurité sociale. Le problème du secteur ce sont les divisions et autres conflits qui règnent entre ses protagonistes et cela au final ne sert les intérêts de personne. J'ai longtemps appelé à la création d'un ordre des artistes qui parviendrait à unir tout le monde et pourrait garantir leur autonomie et mieux structurer le secteur, j'aurais voulu par exemple que cela figure dans ce nouveau projet. Etant artiste avec un handicap, ma situation est d'autant plus défavorable, aucune loi ne me représente et ne garantit mes droits, y compris celle-là.