C'est quasiment un jeune Tunisien sur deux âgé de 18 à 25 ans qui projette de migrer vers l'Italie, la France, le Canada ou l'Allemagne. Dans l'absolu, c'est un Tunisien sur quatre... Le phénomène migratoire, qui a pris de l'ampleur depuis l'avènement de la révolution du 17 décembre 2010, continue de faire les choux gras de la presse internationale qui tire à boulets rouges sur les pays qui n'arrivent pas à contrôler suffisamment les flux migratoires de leurs ressortissants. La Tunisie est pointée du doigt pour son laxisme en la matière et doit contribuer à limiter les nombres d'embarcations qui prennent le large, par la Méditerranée vers les pays voisins d'Europe. Dans ce contexte de crise migratoire qui s'accentue avec la pandémie du covid-19, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) a présenté jeudi dernier à l'occasion de la célébration de la journée mondiale des migrants, lors d'une conférence à Tunis, les résultats d'une enquête de terrain présentée par Pr Zouheïr Ben Jannet, Maître de conférences en sociologie. Sur le thème «Pandémie covid-19 et évolution des intentions de migrations chez les familles tunisiennes», l'auteur du document résume la situation migratoire en Tunisie et rappelle les véritables enjeux en matière de lutte contre ce phénomène récent, mais grandissant dans nos contrées où il devient impératif de retenir les Tunisiens sur leur territoire : «Cette étude est faite dans sept gouvernorats tunisiens sur 1.406 familles. On peut retenir essentiellement que 25% des Tunisiens concernés ou interrogés ont des intentions de migration mais chez les jeunes, ce taux s'élève à presque 45%. Agés de 18 à 25 ans, ils ont actuellement l'intention de migrer». Il y a toutefois des spécificités parce que la société tunisienne est «mobile» et la mobilité de la population devient un phénomène très répandu. «Les Tunisiens ont l'habitude de voyager, de changer de domicile, de destination... Dans les familles tunisiennes, il y a un potentiel migratoire. Les Tunisiens à l'extérieur ont toujours de bonnes relations avec leurs confrères ici en Tunisie. Généralement ce projet s'applique dans les familles, là où il y a le migrant, l'homme ou la femme le débat sur la migration est un sujet porté sur 40% des familles concernées». Un autre aspect qu'il évoque a trait à la socialisation par la migration implique que la famille socialise son enfant dès son plus jeune âge sur l'idée de migrer qui devient un projet «pas seulement individuel mais collectif, pour la famille entière». La pandémie du covid-19 n'est pas étrangère à cet état de fait. Effets de la pandémie du covid-19 Les écrits et rapports sur la pandémie du covid-19, aussi bien en Tunisie qu'à l'échelle mondiale, ne sont pas à leur fin, sans compter ce qui émergerait dans le court-terme, décrivant des tragédies ou célébrant des victoires, et ouvrant sur de nouveaux horizons d'analyse, d'évaluation, et de projection. Et quoique les points de convergence entre ces différents écrits et rapports semblent dépasser ceux de divergence quant aux causes de la pandémie et ses répercussions, cela, à notre avis, est plutôt dû à une réduction de la pandémie à ses dimensions sanitaire, économique et financière, indéniablement cruciales certes, couplée à de l'inattention quant au reste de dimensions propre à l'impact d'une pandémie de cette échelle planétaire sur la vie des individus et des groupes. La pandémie et l'évolution des intentions de migration chez les familles tunisiennes est une étude de terrain qui a été conduite dans sept gouvernorats. Son point de départ est une lecture différente du conventionnel et le refus de la limitation de la pandémie à certaines dimensions et pas à d'autres, mais aussi la conviction de ce que cette pandémie offre comme opportunités de réflexions critiques et constructives ainsi que ce qu'elle appelle comme exercices rationnels et de révision et ce que tout ceci implique comme changements comportementaux à l'échelle individuelle et collective. La pandémie pourrait également constituer une raison pour l'expansion de manifestations telles que l'égoïsme, le corporatisme, le sectarisme et le régionalisme, tout comme elle pourrait inspirer des solutions non conventionnelles et des niches pour la révision de certains choix ou leur ajustement. Elle pourrait aussi offrir différents moyens à différents acteurs pour plus de solidarité et un champ plus large à la quête d'une salvation collective et à certaines valeurs tels que la solidarité et l'altruisme. Il ne s'agit donc pas d'explorer les répercussions directes de la pandémie, malgré l'importance de ce niveau de lecture autour duquel se positionne une partie considérable de la présente étude, mais de connecter ce niveau à celui de la migration qui ne peut se contenter des limites de l'apparent mais les dépasse. La présente étude vise à évaluer l'impact de la pandémie du covid-19 sur les familles tunisiennes surtout sur le plan socio-économique et définir comment ces familles ont interagi avec la pandémie en termes d'adaptation et de résilience. Pour ce qui est de la problématique et des questions que cette étude considère comme point de départ, il est possible de les résumer comme suit : Quels sont les niveaux d'impact de la pandémie sur les familles tunisiennes ? Quelles stratégies, individuelles et collectives, furent construites par les individus et les familles pour alléger le risque pandémique ? Quel est le degré de satisfaction général des Tunisiens et Tunisiennes sur leur réalité pendant la pandémie ? Est-ce que les intentions de migrations auprès des familles tunisiennes ont changé dans le contexte de la pandémie ? Cette étude s'est basée sur un échantillon représentatif de 1.400 familles, et ce, par la construction de 7 zones de projection similaires en termes de taille (81.207 familles avec une moyenne de 11.600 familles par zone) distribuées sur les différentes régions de la Tunisie. Dans un deuxième temps, un nombre d'interviewés a été choisi selon la même représentativité de leurs zones dans l'échantillon global et distribués à leur tour selon le genre, l'âge et le milieu de résidence (urbain -rural) au même titre que leurs zones d'origine selon le dernier recensement général de la population et de l'habitat (2014). Ce travail a été conduit à la fin du premier semestre de l'année 2021.