C'est certainement une facétie du destin qui fit coïncider l'exposition de Lulia Nosar à Tunis avec la guerre en Ukraine. On aurait pu croire à une opportunité médiatique, à un sens aigu de l'à-propos, peut-être même à une volonté délibérée. Il n'en était rien sinon un signe du destin qui fit arriver, sur les cimaises de Musk and Amber, cette artiste, programmée depuis longtemps, au moment où son pays était au cœur même de l'actualité. Quels que soient les circonstances et les aléas de l'Histoire, courez voir cette magnifique exposition de photos superbement orchestrée selon la jolie tradition de Lamia Ben Ayed. Lulia Nosar est, nous dit-on, enfant de la dernière génération de l'Urss, mais aussi la première à grandir dans la nouvelle Ukraine. De ce choc de civilisations naissent souvent des talents inattendus. Des mondes se juxtaposent et s'opposent, des mémoires s'entrechoquent et se choquent. Des contraintes s'effacent, des libertés éclatent, des murs s'effondrent et il faut reconstruire. Lulia Nosar choisit le fer et le bronze pour construire un univers solide que rien ne viendra ébranler, pense-t-elle à l'Ecole des Beaux-Arts où elle choisit la section sculpture. Dans la jeune Ukraine, sa jeunesse à elle est artistique, libérée, créative, mais aussi pesante de responsabilités. Puis vient le temps du doute que même le bronze ne peut rassurer. Les artistes, les premiers, initient la Révolution Orange, une révolution culturelle dans laquelle Lulia s'engage, occupant des mois durant la place emblématique Maidan. Ses engagements pour la préservation de la mémoire ukrainienne lui coûteront pressions et menaces, puis exil en France. Loin de son atelier, de la sculpture, elle va à l'immédiat : la photographie. Si elle devient photographe par défaut, on serait tenté de dire qu'elle s'y est trouvée. Le regard et la mémoire entre deux univers, deux mondes, elle transmet à son objectif une rencontre presqu'accidentelle entre deux visions : le réalisme socialiste et l'école du classicisme. Il en résulte des portraits traités comme des œuvres de la Renaissance, délicatement mis en scène, subtilement éclairés, tout de grâce et de tendresse. Dans ces photos venues d'univers fracassés, on décèle de douces nostalgies, un esthétisme atavique, la mémoire d'un ailleurs disparu, et la sensibilité exacerbée de ceux pour qui l'exil n'a jamais été synonyme d'oubli.