Les familles des détenus politiques empêchés, de nouveau, d'approcher de la prison de la Mornaguia    Pèlerinage Ghriba, barrages, Conseil des régions… Les 5 infos de la journée    Qui est Imed Derbel président du Conseil national des régions et districts ?    Tunisie | Youssef Bargaoui et Zakia Maâroufi élus vice-présidents du Conseil national des régions    Anouar Ben Ammar : Ennakl Automobiles a prouvé sa résilience    Tunisie – Trois ans de prison pour un ancien secrétaire d'Etat    Tunisie – Jendouba : Saisie de produits agricoles dans un entrepôt clandestin    Classement des pays producteurs d'or en 2022    France : Suspension de la fermeture du collège musulman Avicenne à Nice    Annulation des festivités du pèlerinage de la Ghriba    La Tunisie abrite l'exercice militaire conjoint « African Lion 2024 »    La Belgique demande de reconsidérer les avantages commerciaux accordés à Israël par l'Union Européenne    Ben Arous : 23 touristes blessés dans le glissement de leur bus    Tunisie | Le Président de la République inaugure la 38ème édition de la Foire internationale du livre de Tunis    Accident au pont mobile de Bizerte : Le ministère du Transport en action    L'acteur égyptien Salah El Saadany est décédé à l'âge de 81 ans    Royaume-Uni : 1,2 milliard d'euros de fortune personnelle et une "misère" pour les employés, le Roi choque…    Imed Derbali, président du Conseil national des régions et des districts    PARIS: L'HOMME AYANT PENETRE DANS LE CONSULAT D'IRAN A ETE INTERPELLE PAR LA BRI    Arrestation d'un troisième terroriste à Kasserine en 24 heures    Augmentation de 10,7% de la production de poulet de chair    Le gouverneur de la BCT s'entretient avec des investisseurs sur les marchés financiers internationaux    USA : Biden pétrifie le pays avec l'histoire de son oncle mangé par des cannibales en Nouvelle-Guinée…    Reprise progressive du trafic à l'aéroport de Dubaï    Le taux de remplissage des barrages baisse à 35,8%    Abdelaziz Kacem: À la recherche d'un humanisme perdu    Le ministre de l'Intérieur : « La sécurité du pays est notre mission et la loyauté envers la patrie est notre credo »    Ahmed Hachani promeut un retour réussi des TRE pour la saison estivale    Une nouvelle injustice entache l'histoire de l'ONU : Le Conseil de sécurité échoue à adopter une résolution demandant la pleine adhésion de l'Etat de Palestine    Un grand succès sécuritaire : Deux terroristes classés « très dangereux » capturés    Météo en Tunisie : Vent fort et températures en baisse    Baisse de 20 % des précipitations en Tunisie en février    Bac sport : L'envers du décor    Mohamed Essafi : la rencontre avec la ministre de l'Education était positive    Bank ABC Tunisie annonce un résultat net de 13,9 millions de dinars    CSS : La coupe pour se requinquer    Ligue des champions – Demi-finale aller – EST-Sundowns – Demain soir à Radès (20h00) : Ces choix qui s'offrent à Cardoso...    Foire du livre – L'Italie Invitée d'honneur S.E. L'Ambassadeur d'Italie Alessandro Prunas à Tunis : « La culture est l'un des piliers les plus développés et les plus dynamiques de la relation bilatérale tuniso-italienne »    La Presse : M. José Maria Arbilla, ambassadeur d'Argentine, rend visite à La Presse    Aujourd'hui, ouverture de la 38e Foire nationale du livre de Tunis    Situation globale à 9h suite la confirmation d'Israël des frappes sur le sol iranien    Classement des pays arabes les plus endettés auprès du FMI    Stuttgart : Ons Jabeur éliminée en huitièmes de finale    Jazz Club de Tunis et Centre d'Art B7L9 s'associent pour célébrer la Journée internationale du jazz    La Juventus condamnée à payer près de 10 millions d'euros à Cristiano Ronaldo    Ons Jabeur se qualifie au prochain tour du tournoi WTA 500 de Stuttgart    Le sport Tunisien face à une crise inquiétante    Plus de 700 artistes participeront au Carnaval International de Yasmine Hammamet    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Tribune | Réflexions autour du livre « Prison et Liberté, parcours d'un opposant de gauche de la Tunisie indépendante », de Chérif Ferjani : Quand la prose du narrateur fait trembler les frontières
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 05 - 2022


Par Jomaâ Souissi *
Je vais vous dire ce que j'ai senti en lisant l'autobiographie de Cherif Ferjani (Prison et liberté, Nirvana Editions, Tunis, 2019) où c'est l'homme dans sa totalité qui surgit (et pas seulement l'intellectuel). Juste raconter mon ressenti. Juste laisser la parole à ma sensibilité telle qu'elle a rencontré celle de l'auteur.
La lecture de cette autobiographie achevée, et sans aucune idéalisation (car la tentation est grande tant le pouvoir des mots rend ténue la frontière entre fiction et réalité), j'ai trouvé :
– Un homme cohérent qui a toujours vécu sa vie telle qu'il la pense.
– Un homme fidèle et honnête. Fidèle à son père d'une fidélité qui déborde d'affection et d'amour et qui brise l'image orientale du père, rigide et castrateur. Fidèle à Claudette avec laquelle ils se sont faits l'un par l'autre. Une vraie aventure existentielle où l'amour, distillé avec pudeur et discrétion dans le récit, a toujours su triompher de tous les obstacles. L'amour est faiseur de miracles. Ce n'est pas qu'une formule. Ça n'arrive pas que dans les comédies romantiques…
– Un homme qui ne met pas son fauteuil dans le sens de l'histoire et qui préfère payer seul le prix de sa révolte plutôt que de tricher et faire plonger avec lui d'autres au nom d'un idéal révolutionnaire abstrait. Camus, plutôt que Sartre….
– Un homme innocent. De l'innocence absurde de Meursault dans l'Etranger de Camus. Et un enfant qui vieillit. Qui vieillit bien. On ne retrouvera aucune trace d'aigreur ni de regret ni de résipiscence dans ce récit. Juste un homme qui se souvient ou plutôt un corps qui se souvient. Il y a du stoïcien chez cet homme dont le récit se lit aussi comme un manuel de sagesse…
– Un homme qui porte bien son prénom. Un homme prédestiné par son prénom…un homme qui a un sens inné de l'honneur. L'honneur dans sa dimension la plus noble, la plus romaine. L'honneur comme fidélité à la parole donnée. L'honneur comme courage et obstination à lutter contre l'injustice et la brutalité. L'honneur comme obstination à rester debout même quand on est confronté à une machine bruyante et mille fois plus forte que soi. L'honneur aussi de celui qui ne tire pas dans le dos et qui a un souci très exigent de la loyauté et du respect des règles dans l'adversité…
Cherif Ferjani aura assumé pleinement tous ses déterminismes en homme libre. De ces déterminismes, il s'est créé un style affirmant ainsi sa propre idiosyncrasie. Il aura réussi à bien acter son rôle dans la grande pièce de la vie sous ses deux facettes: la tragique aussi bien que la comique en agissant toujours dans l'urgence. En agissant toujours dans l'improvisation (comme un danseur dans un champ de mines ou qui danse sur l'abîme), qui est sans doute l'art le plus beau et le plus difficile. Beau parce que difficile. La beauté est toujours exigeante et Cherif Ferjani a le sens de l'élégance et la beauté dont il arrive à détecter la présence, y compris dans les moisissures du monde carcéral. L'humour dont il se sert pour raconter sa vie relève certes de la stratégie narrative sans laquelle le tragique serait impossible à dire et le récit impossible à voir la lumière, mais il est plus qu'une stratégie. Il est un style et une manière d'être, intimement liés à la conscience de l'auteur. Chevillé à son âme. Une esthétique donc et une éthique. Chérif Ferjani est né avec un sourire narquois au coin des lèvres, comme pour entamer l'aventure de la vie avec cette légèreté et cette indifférence qu'il partage avec de grands esprits qui l'ont précédé et avaient déjà balisé le chemin. Je pense à Rabelais et Erasme. Et il ne lui déplairait pas du tout de les rencontrer un jour dans le purgatoire avant d'être tous admis au paradis …
Cherif est aussi homme buldozer qui n'a qu'un seul mode de fonctionnement : la marche vers l'avant. Même quand il a une montagne en face, il fonce et l'aura toujours à l'usure (comme il a réussi à avoir à l'usure ses tortionnaires rattrapés par leur bêtise et leur lâcheté). C'est un homme inépuisable, mais qui a un grand cœur qui active cette marche vers l'avant. C'est un homme de cœur. Et quand un homme de cœur a le courage en plus, il devient un être admirable de courage et d'humanité. Probablement y a-t-il là une quelconque réponse à un appel venant de je ne sais quel type d'absolu en lui ? Est-ce le mysticisme de l'idéal révolutionnaire? Est-ce la folie rimbaldienne qui loge dans ses talons de nomade et qui lui donne des pieds de vent? Ou est-ce encore la naïveté primordiale de l'enfant qui n'a jamais pris au sérieux la gravité de ses actes et qui a toujours l'impression que la vie est un divertissement, y compris dans ses moments les plus tragiques?
Je me pose toutes ces questions parce que Cherif Ferjani ne me paraît pas juste un homme habité par un idéal révolutionnaire. Si c'était le cas, il n'aurait jamais abandonné le chemin de la politique…
En plus, le récit est d'autant plus beau que la prose du narrateur fait trembler la frontière entre le réel et l'imaginaire, le possible et l'impossible, l'admissible et l'inadmissible, l'ombre et la lumière, donnant au relativisme éthique tout son sens. C'est le récit d'une vie extraordinaire qui n'a pas un sens en elle-même. Elle ne prend un sens qu'une fois revendiquée et assumée par une conscience qui la reconstitue et qui essaie de comprendre aussi. Car je présume que le premier à avoir été surpris par le récit de cette vie, c'est le « je» du narrateur lui-même qui réalise en fin de compte qu'il est la somme de l'ensemble de tous ces «je» qu'il a été et qu'il tente de rassembler dans le grand « je(u)» de ce narrateur arrivé à un stade où il ose enfin rendre public tout ce qu'il a vécu et qui assume, enfin, la totalité de «son identité narrative» , selon cette expression de Paul Ricoeur.
Aujourd'hui, j'ai la chance de connaître l'auteur de cette autobiographie. Et je peux dire sans flatterie que c'est un homme admirable, c'est-à-dire un homme de qui on peut s'inspirer et à qui on aimerait ressembler, tant son parcours est exceptionnel et tant la reconnaissance dont il jouit n'a en rien boursoufflé son moi…Tant il ressemble parfaitement au personnage qu'il raconte dans son œuvre sans tricher.
Eluard parlant de lui-même disait : « J'ai la beauté facile, et c'est heureux ». Chérif Ferjani peut se revendiquer de cette phrase lui aussi. Il y a tant de beauté et tant de lumière en lui. Et ce sont elles qui l'ont arraché aux ténèbres. Elles qui l'ont sauvé. Elles qui ont donné ce livre en partage. Un livre bouleversant de beauté.
J.S.
(*) Professeur de français au lycée pilote de Nabeul en classes de préparation aux concours des grandes écoles.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.