Comment développer un nouveau discours religieux modéré qui contribuerait à l'édification de la paix et à l'éradication de la pensée takfiriste ? Les imams officiant actuellement dans les mosquées tunisiennes (dont 4% uniquement sont de formation universitaire) peuvent-ils assumer cette mission ? Le Centre des études stratégiques, sécuritaires et militaires demande au gouvernement d'adopter «la charte de Tunis pour un discours religieux modéré et l'édification de la paix» Il est des déclarations qui font froid dans le dos et poussent à la réflexion. Quand Abdeljelil Ben Salem, le nouveau ministre des Affaires religieuses du gouvernement d'union nationale, souligne texto: «Aujourd'hui, 95% de ceux qui prononcent les prêches du vendredi dans nos mosquées ne portent pas le titre d'imam», les Tunisiens sont dans l'obligation de se demander : que fait l'Etat depuis la révolution pour que nos mosquées soient assainies et libérées des «imams» qui les occupent et qui n'ont pas la qualification requise pour y professer tout ce qu'ils veulent et pour y être payés en contrepartie par l'Etat ? Et quand on retourne quelques mois en arrière à l'époque où Mohamed Khelil dirigeait le ministère des Affaires religieuses et défiait Raja Ben Slama de pouvoir réciter convenablement une sourate du Coran, on découvre que Fadhel Achour, le secrétaire général du syndicat des imams, a déjà devancé le Pr Abdeljelil Ben Salem en livrant aux médias les chiffres effarants suivants : «4% des imams officiant actuellement au sein de nos mosquées disposent d'une formation universitaire, 7% proviennent de l'enseignement secondaire et le reste, soit 89%, ont suivi des études primaires». Et les chiffres révélés par Fadhel Achour de passer inaperçus ou de subir l'ignorance totale de la part de l'ex-ministre des Affaires religieuses, Mohamed Khelil, qui avait d'autres priorités, comme celle de dégager la directrice de l'information au ministère où elle exerçait depuis les années 90 du siècle écoulé pour des raisons qui restent toujours inconnues. Aujourd'hui, le Pr Abdeljelil Ben Salem, qui vient de l'université zeïtounienne, découvre en regardant les dossiers que lui a légués Mohamed Khelil que les étudiants qu'il formait dans son université ne sont pas recrutés en tant qu'imams et que la majorité écrasante des imams censés expliquer aux Tunisiens les fondements de leur religion et ses sublimes préceptes témoignent d'une formation religieuse limitée et, pour dire les choses crûment que peut attendre le citoyen tunisien d'un prêche prononcé par un imam qui a quitté les bancs de l'école sans avoir décroché le certificat de fin d'études primaires, c'est-à-dire la sixième ? Quel discours peut produire un imam d'une trempe pareille pour faire face au discours takfiriste qui se développe de plus en plus sur les réseaux sociaux ? La charte de Tunis du discours religieux modéré et de l'édification de la paix On attendait du ministère des Affaires religieuses qu'il lance le débat sur la libération de nos mosquées des imams le moins qu'on puisse dire incapables de produire le discours religieux modéré que tout le monde attend. Malheureusement, le ministère garde le silence et choisit de priver trois enseignants de l'université zeïtounienne d'un pèlerinage gratuit aux frais du contribuable, parce qu'ils se sont déjà déplacés aux Lieux-Saints en qualité d'accompagnateurs à plusieurs reprises et qu'il faut laisser la place à d'autres personnalités pour bénéficier des largesses de l'argent public. Sauf que les associations de la société civile ne sont pas restées les bras croisés face à l'inertie du ministère et ont décidé de poser le problème de la lutte contre le discours takfiriste et la nécessité de produire un discours religieux modéré au service de la culture de la paix. Et c'est le Centre des études stratégiques, militaires et sécuritaires dirigé par l'universitaire Badra Gaâloul qui a pris l'initiative d'organiser, ces derniers jours, en partenariat avec la célèbre bibliothèque d'Alexandrie dirigée par l'illustre Ismaïl Sirajeddine, un colloque international intitulé : «Le traitement du discours religieux pour la coexistence pacifique et la lutte contre la pensée takfiriste». Le colloque s'est soldé par l'adoption d'un document de travail intitulé «La charte de Tunis pour un discours religieux modéré et l'édification de la paix». Badra Gaâloul, présidente du centre, confie à La Presse : «Les participants au colloque venus de Tunisie, d‘Egypte, d'Algérie, d'Irak et de Syrie ont convenu de onze commandements à même de promouvoir la culture de la paix, de proposer un nouveau discours religieux modéré et de combattre sérieusement la pensée takfiriste égarée. Et notre pacte comporte les onze commandements suivants qui ont la particularité d'être complémentaires et pluridisciplinaires puisque pour nous la religion, la politique et la sécurité,, l'information et la question économique et sociale sont interdépendantes et il ne peut y avoir de stratégie efficace de lutte contre les daechistes qu'au cas où le discours religieux modéré que notre charte prône serait accompagné d'un plan de développement à court et à long terme au profit des régions dites marginalisées». Une copie de la charte de Tunis sera soumise aujourd'hui ou demain au ministre des Affaires religieuses lors d'une rencontre «au cours de laquelle nous lui demanderons que le gouvernement adopte notre charte et prenne les mesures qu'il faut pour concrétiser son contenu», précise Mme Gaâloul. «Le ministre, ajoute-t-elle, qui a ouvert les travaux du colloque, nous a promis son soutien et nous espérons voir le gouvernement adopter notre charte».